Paso Doble n°88 : Gauche en (l)armes

Publié le 12 septembre 2008 par Toreador

A las cinco de la manana…

Les Sources du comportement socialiste

Les spécialistes auront reconnu au titre un clin d’oeil au long télégramme de Georges Kennan, conseiller à l’ambassade américaine à Moscou, qui fit une analyse célèbre du comportement de l’URSS en 1947. Je ne traiterai pas ici de l’extrême-gauche, cependant, mais bien de la gauche dite de gouvernement.

Aujourd’hui, le PS est en plein désarroi. Il est de bon ton de dire qu’il n’a pas d’idées, qu’il est miné par les querelles, qu’il ne sait plus comment se positionner par rapport à la mondialisation et à Nicolas Sarkozy. Ce n’est pas totalement exact.

Je vous livre une analyse 100% subjective. : si la Gauche de gouvernement est aujourd’hui démobilisée, c’est parce qu’elle n’a plus de mouche du coche qui l’oblige à resserrer les rangs. Il n’y a plus de Grande Cause de Gauche.

Certes, vous me direz, la Gauche n’a pas besoin de cela pour exister : ne représente-t-elle pas avant tout des valeurs et une certaine idée du progrès ? Oui, en partie. Car, ce qui fait la force de la Gauche, c’est sa capacité guerrière. Il n’y a qu’à citer pour s’en convaincre le vocabulaire belliciste qui est usuellement utilisé. Ne parle-t-on pas de « mobilisation », de « lutte » ou de « bataille pour l’emploi » ? La Gauche puise sa force dans une série de grands conflits salvateurs, à commencer par celle de Valmy.

Quand la Gauche s’entiche…

Depuis que la Gauche est moderne, elle s’est toujours trouvé un cri de ralliement, un ennemi à abattre, une force à combattre. La Gauche s’est forgée avec le radicalisme en 1869 à Belleville, dans l’anti-Napoleonisme. Napoléon III abattu, la Gauche s’est trouvée un nouvel étendard de lutte, l’anti-cléricalisme. C’est cette « anti »-là qui permet la mobilisation des forces radicales pendant près de quarante ans. L’anticléricalisme a définitivement forgé l’identité du parti radical, qui symbolise alors la gauche de gouvernement (par opposition aux socialistes, qui mettent l’accent sur la dialectique marxiste), et ce, bien plus que l’anti-racisme, lequel n’est pas aussi tranché qu’on peut le penser dans le cas par exemple de l’affaire Dreyfus.

La Première guerre mondiale va mettre fin à cet âge d’or de la Gauche, car la camaraderie des tranchées et l’affaiblissement de l’Eglise privent subitement la Gauche d’un ennemi viable. C’est l’époque où, après un court moment de domination de la droite, le parti socialiste prend le pas sur le parti radical et se trouve un nouvel adversaire : le fascisme. L’antifascisme va faire recette, autour de quelques grandes figures, comme Alain, et forge la conscience de Gauche, notamment après le choc du 6 février 1934 et sa réinterprétation ex post. La Résistance va venir sublimer cette lutte anti-fasciste en avantageant cependant curieusement le PCF (qui au début de la Guerre est interdit après le pacte Molotov-Ribbentrop), lequel termine la guerre avec le mythe politique des 75 000 fusillés.

L’après-guerre permet à la Gauche de gouvernement – les socialistes – de se retrouver. Le mythe de l’antifascisme perdure, mais c’est l’anti-communisme qui fournit la matière première de l’unité/identité de la SFIO. La scission de Tours (1921) entre SFIO et SFIC reste le point central du distingo de l’identité de gauche. L’anticolonialisme, en effet, n’est pas suffisamment fédérateur : une grande partie de la Gauche, qui a soutenu au début du siècle la politique de colonisation, refuse la décolonisation. L’anti-communisme fonctionne jusqu’à la chute du mur, même si le programme commun de 1981 lui met du plomb dans l’aile.

C’est à peu près à cette époque que l’artisan du rapprochement avec les communistes, François Mitterrand,  réactive un nouveau mot d’ordre fédérateur, l’antilepénisme, lequel se colore rapidement d’une référence à l’antifascisme et l’antiracisme associatif. Mitterrand trouve là surtout un moyen d’affaiblir la droite (notamment aux législatives de 86). C’est l’époque où la Gauche se forge une nouvelle identité sur la question de l’intégration et de l’immigration, et où le MRAP acquiert plus de visibilité que la vieille Ligue des droits de l’Homme.

La Croix et la Bannière

Cette quatrième bannière, après celle de l’anticléricalisme, l’antifascisme et l’anticommunisme, la Gauche la perd définitivement le 21 avril 200é, lorsque pour la première fois elle est doublement battue. Il faut savoir que le traumatisme est à la hauteur de sa signification historique. En effet, il n’y avait jusque là dans l’imaginaire de la Gauche que des luttes gagnées. L’Eglise, le Fascisme, le Communisme : trois adversaires, trois victoires. Ce que j’ai surnommé Farenheit 4/21 clôt une page de l’histoire de la Gauche avec un triple effet : élimination du chef de la Gauche, défaite électorale humiliante vis à vis de l’ennemi (la Gauche est évincée du 2ème tour) et enfin, défaite morale surtout car le FN, malgré 20 ans de lutte, n’a cessé de progresser.

Depuis, la Gauche est en désarroi. Contrairement à ce que l’on pense, elle ne manque pas d’idées, mais plutôt d’unité. Car, à la différence des conservateurs qui se cherche un chef, la Gauche préfère se mobiliser spontanément autour d’une cause, ce qui correspond mieux à sa sensibilité politique. En 2007, elle a cherché à se réunir sous la bannière de l’anti-sarkozysme. Hélas, battue, elle est rapidement revenue à la désunion. Ce que François Bayrou cherche à provoquer aujourd’hui, en parallèle du repositionnement à gauche du Modem, c’est justement la remobilisation d’un front d’opposition à Sarkozy, autour de thèmes porteurs (droite bling bling, puissances de l’argent, république bananière, etc…). Besancenot, lui, choisit un nouvel ennemi plus large : le capitalisme.

L’anti-sarkozysme peut-il jouer le rôle qu’on veut lui faire jouer ? Probablement, même si, idéologiquement, c’est un feu de paille. A la confusion idéologique du Sarkozysme ne peut s’opposer qu’un arc très hétérogène d’alliés de fortune, bric à brac invraisemblable de socialistes, de centristes, voire de gaullistes. La Gauche peut-elle se retrouver dans un espace aussi invraisembable idéologiquement ? Probablement pas. Restera à se trouver par la suite une nouvelle cause, un peu à la manière de l’OTAN après la chute de l’URSS…