Scène 12
Une pièce dans l’igloo de la Petite Ourse. Tapis persans au sol, tentures contre les murs. Mobilier d’époque –celle que vous voudrez. De nombreuses lampes diffusent une lumière voilée et douce. Deux plateaux portant les reliquats d’un repas sont posés sur une petite table à droite de la porte. Assises face à face devant un guéridon, La Madone et La langoureuse Arielle jouent aux cartes.
La Madone, la Langoureuse Arielle
LA MADONE
Vas-tu te dépêcher ? J’attends depuis une heure.
LA LANGOUREUSE ARIELLE
C’est que je ne sais plus si l’atout est bien cœur.
LA MADONE
O cruche sans esprit ! Ca fait bientôt trois mois
Que je suis enfermée dans cet igloo si froid !
Et comble de malheur, il a fallu, hélas,
Que je me tape encor ce cerveau de pétasse !
Vas-tu donc bien enfin te mettre dans la tête
Les règles de ce jeu, tu es vraiment trop bête !
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Cesse de m’insulter ou je dirai partout
Que la Madone triche et du monde se fout.
La MADONE
A qui le diras-tu, ô pauvre demeurée,
Puisque tout comme moi te voilà séquestrée ?
Et quand le diras-tu ?
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Lorsque nous serons libres.
J’ai confiance en Fifi. Toute mon âme vibre
Au lointain souvenir de nos émois brûlants.
Je sais qu’il reviendra.
LA MADONE
Peut-être dans mille ans.
Souviens-toi belle enfant que cela fait trois mois
Que nous croupissons là.
LA LANGOUREUSE ARIELLE
O langue de putois !
Tu n’as donc pas confiance en ton compagnon d’arme,
Lanlan le bien nommé, le tout en un du charme ?
LA MADONE
Sais tu bien où il est, à l’heure où nous parlons ?
Au bord de l’océan. Rôtissant son bedon,
Il prononce à ma place un discours éloquent
Pour m’empêcher d’avoir les voix des militants.
Mais foi de fausse vierge et de vraie politique,
Je l’aurai au tournant, ce dément névrotique.
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Tu dis n’importe quoi.
LA MADONE
La vérité te gêne ?
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Tu pompes à grand bruit tout mon bel oxygène.
Comme tu l’as bien dit, nous sommes prisonnières :
Je ne vois pas comment, même avec tes prières,
Tu pourrais obtenir le poste convoité.
LA MADONE
Je serai secrétaire ou je me fais curé.
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Il ne manquait que ça pour achever l’ouvrage
De ceux pour qui l’Eglise est un constant outrage.
Cesse donc de rêver et reviens sur la terre :
Cunégonde et Fifi à coup sûr sont en guerre
Contre nos kidnappeurs : bientôt, ils seront là,
Et nous pourrons enfin quitter cette casba.
LA MADONE
Et qui rêve à présent ? Ils ne viendront jamais.
Adieu ma carrière* et adieu le palais !
(Elle soupire.)
Mais reprenons le jeu : vraiment décide-toi.
Joue ton dernier atout car tu n’as plus le choix.
(La porte s’ouvre, apparaît la Petite Ourse, suivie de sa garde.)
(A suivre)