Très attendu, Bernard Tapie a été fidèle à son image lors de son audition mercredi 10 septembre, par la commission des finances de l’Assemblée nationale. Le culot, la grossièreté sans omettre une violence inhérente dans tous ses propos destinée à éviter les questions qui fâchent. Et en bouquet final une sortie larmoyante sur le registre de la victimisation. Derrière le numéro d’acteur restent les faits, accablants pour un ex-homme d’affaire sulfureux qui aura toujours su se servir de ses relations politiques pour vivre en sursis et à crédit.
Le loup dans la bergerie, c’est François Mitterrand qui l’aura fait rentré en faisant de Bernard Tapie un ministre de la République. Un portefeuille opportun, au bon moment lorsque les affaires vont mal, que le groupe Bernard Tapie enregistre de mauvais résultats. Après, c’est parole contre parole. Jean Peyrelevade ancien président du Crédit Lyonnais promu à la tête de la banque neuf mois après la vente d’Adidas est formel. La vente a été faite « dans des conditions extraordinairement favorables » pour Bernard Tapie. Le Crédit Lyonnais n’a pas fait de plus value sur le dos du ministre-PDG.
Vraisemblablement les plus hautes autorités de l’Etat d’alors, François Mitterrand, craignent un naufrage économique et décident de sauver la face du ministre, en imposant à la banque publique de trouver une sortie vers le haut pour Bernard Tapie. La banque aurait pu faire jouer son nantissement sur les actions (saisir les actions pour se rembourser) elle ne l’exerce pas, redresse la situation, et vend dans des conditions favorables qui bénéficient à Bernard Tapie. Alors pourquoi 15 ans après les faits faire trancher le dossier par une juridiction arbitrale alors que la Cour de Cassation s’est déjà prononcé dessus ?
Le recours à une justice privée et des arbitres rémunérés 330 000 € pour leur prestation sur un dossier qui expose l’Etat et le contribuable permet surtout de revenir sur la notion de préjudice morale dans la vente. Bernard Tapie clame qu’il a été floué par la SDBO, la filiale du Crédit lyonnais qui a vendu les 78 % des actions Adidas qu’il détenait et accuse cette dernière de lui avoir dissimulé d’importantes plus-values banque. Le point de blocage c’est que la Cour de Cassation dans un arrêt d’octobre 2006 casse un jugement de la Cour d’Appel qui condamnait le Consortium de réalisation (CDR), structure créée pour gérer le passif du Crédit lyonnais, et le Crédit lyonnais, à verser 135 millions d’euros aux liquidateurs de l’ex-groupe Tapie.
Contre toute attente le CDR accepte, le 26 octobre 2007, à la demande de l’Etat, la proposition des liquidateurs de l’ex-groupe Tapie de soumettre leur litige à un tribunal arbitral. La sentence arbitrale rendue le 11 juillet 2008 est favorable à Bernard Tapie. Elle lui accorde 240 millions d’euros au titre du “manque à gagner” lors de la cession d’Adidas, auxquels doivent s’ajouter 45 millions d’euros au titre du “préjudice moral” et quelques 105 millions d’intérêts. Soit un total de 390 millions d’euros.
Pourtant, le 28 juillet, le CDR renonce à déposer un recours en nullité, décision validée par le ministère des finances. L’affaire prend une tournure politique quand certaines sources relèvent que Bernard Tapie qui a apporté son soutien à Nicolas Sarkozy lors de la campagne des présidentielles a depuis été reçu quatre fois à l’Elysée. François Bayrou, bien informé sur le dossier par le ralliement au Modem de Jean Peyrelevade, évoque les “protections au plus haut niveau” dont aurait bénéficié M. Tapie et dénonce un “abaissement de l’Etat”.
Les soupçons sont renforcés par les propos de Charles de Courson, député du Nouveau Centre, membre du conseil de l’EPFR (l’actionnaire à 100 % du CDR) qui affirme, pv de réunion à l’appui, que les représentants de l’Etat avaient reçu pour instruction de l’Etat de se prononcer en faveur de l’arbitrage lors de la réunion d’octobre 2007 portant sur le choix à faire entre recours à l’arbitrage ou à la voie judiciaire classique.
Contraint à réagir en dépit de ses relations ambiguës avec Bernard Tapie, le PS via Didier Migaud, président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, propose alors d’organiser des auditions avant d’envisager d’éventuelles suites. A l’issue du show de Bernard Tapie devant la Commission, François Hollande a déclaré sous forme de constat « Celui qu’il faut remettre en cause n’est pas Bernard Tapie, il a joué selon ses intérêts: c’est le pouvoir politique, qui lui a permis d’obtenir ce qu’il voulait ». Reste donc à savoir pourquoi.