Cher Jean-Pierre,
Comme tu me fais l'amitié parfois de déposer un commentaire sur mon propre blog, je te renvoie l'ascenseur bien volontiers sur le tien.
Comme toi, je me réjouis que les Français, par sondage interposé, nous envoient le message de l'importance du Sénat. C'est en même temps une lourde responsabilité qu'ils nous confèrent et nous devons nous efforcer d'en être dignes.
Les doutes qui continuent cependant de peser sur sa modernité et sa représentativité doivent être dissipés.
Avec toi, je pense aussi que la modernité ne se proclame pas, elle se démontre dans les faits, notamment dans ceux à haute portée symbolique.
C'est pourquoi, je pense sincèrement que tout scrutin interne, interdit à la presse, selon un collège électoral partiel ne contribue pas à l'image de transparence à laquelle nos compatriotes sont de plus en plus attachés. D'où mon désaccord clair sur les primaires dans leur conception actuelle. Je ne vois d'ailleurs pas pourquoi nous nous priverions des moyens audiovisuels qui ont été largement utilisés pendant la compagne présidentielle de 2007. Ainsi les portes du Sénat seraient grandes ouvertes, les candidats à la Présidence présenteraient leur projet devant la France entière, grâce à Public Sénat, la presse pourrait poser toutes les questions qu'elle veut, et le scrutin serait retransmis en direct. Ce serait, en termes de communication et d'image, un signe fort d'une volonté ardente et sincère de renouvellement de nos pratiques internes à nos groupes politiques.
S'agissant de l'indépendance du Sénat à laquelle tu fais référence, c'est un sujet dont j'ai fait, tu le sais, mon cheval de bataille. Et je ne suis qu'au début. En effet, on a tellement insisté pour que je vote la réforme constitutionnelle que je la considère comme désormais irréversible. Dans l'esprit du Président Nicolas Sarkozy, elle vise à prendre acte clairement et franchement de la présidentialisation de la 5ème République et de la nécessité de rééquilibrage démocratique par le renforcement des droits du Parlement.
Cette volonté d'offrir au Parlement de s'affranchir enfin d'une emprise excessive des pressions de l'exécutif, sous le prétexte du « fait majoritaire », nous fait obligation désormais de nous saisir de toutes les prérogatives nouvelles dont le Président de la République a voulu nous doter. Ne pas le faire serait un renoncement voire une forfaiture. En outre, nos collègues Sénateurs n'acceptent plus de devoir siéger couchés face un exécutif qui leur donne des instructions, les menace, les prive de leur libre arbitre. Ils veulent vivre et légiférer, contrôler debout, fiers de la mission qui leur a été confiée par le Peuple Français dont ils incarnent la souveraineté. Révéler aux sémillants hauts fonctionnaires qui observent le Parlement comme un zoo désopilant qu'il s'agit pourtant de la souveraineté nationale qui ne s'incarne pas à l'Elysée mais au Palais Bourbon et au Palais du Luxembourg est un devoir d'Etat pour nous.
Vient la question de l'autorité dont le futur Président du Sénat va devoir faire montre face à l'exécutif, notamment à l'endroit du Président Nicolas Sarkozy doué d'une énergie rare et dont la façon d'avancer pourrait aboutir à l'écrasement des institutions si elles ne montraient pas leur propre force de frappe. J'ai le devoir de dire qu'un candidat qui n'aurait pas fait valoir son indépendance, vis à vis du Président, avant, aurait beaucoup de mal à le faire après. C'est pourquoi, il faudrait que nous examinions l'art et la manière que chacun a utilisés pour manifester sa différence, et ses éventuels désaccords depuis un an et demi. Non pas pour en rajouter mais pour que cette question d'indépendance ne puisse, pour l'avenir, donner lieu à aucune ambigüité. Pour ma part, si j'ai pris mes distances depuis quelques mois, c'est précisément parce qu'il me semblait que les signaux de liberté envoyés par la réforme constitutionnelle étaient totalement incohérents avec les pressions contraires que nous avons continué à subir depuis.
J'indique que le Sénat est placé face à un rendez-vous historique. Dès le 1er Octobre, il doit s'ériger en totale indépendance au regard du Gouvernement. Et ainsi ouvrir le chemin que l'Assemblée Nationale tardera à emprunter tant que son calendrier électoral sera calqué sur celui de la présidentielle. Le Sénat n'a pas cette contrainte, il a donc le devoir constitutionnel de rompre le lien de dépendance qui le lie encore avec l'exécutif. Le faire sans excès mais également sans faiblesse. Il sera opportun de tester concrètement le degré de préparation des candidats à maintenir cette exigence dans la durée et avec l'intensité nécessaire.
Se prétendre indépendant n'est rien si on n'en a pas les moyens . C'est pourquoi, il me semble que le Parlement doit exiger que l'Exécutif lui cède la moitié des corps de contrôle et d'inspection dont il dispose pour surveiller sa gestion. Il n'existe aucun motif autre que corporatiste pour empêcher cette évolution copernicienne. Pour ma part, elle me passionne et je suis prêt à y jeter toutes mes forces pour que la France devienne un exemple démocratique pour son équilibre entre exécutif et législatif.
J'en termine par les chantiers dont nous parlons sur nos blogs respectifs : Eradiquer enfin la prolifération législative, participer à l'élaboration de la législation européenne, recomposer le paysage territorial des collectivités locales sans attendre les oukases de l'Etat, délivrer le Sénat de ses réflexes partisans pour ouvrir un champ large au consensus afin d'adopter des réformes de structures essentielles.
La tâche est immense, elle est exaltante, elle commande que nous nous accordions tous pour chercher le meilleur d'entre nous capable de mener une telle entreprise et la réussir. Comme tu le sais, je suis prêt à tout dialogue dès lors qu'il est fondé sur une ambition réformatrice copernicienne pour la France.
Je suis à ta disposition pour en parler en privé comme en public et par tous moyens médiatiques disponibles, avec évidemment les autres candidats.
Fidèlement à toi,
Alain Lambert