Road movie en Basse Californie

L’artiste mexicain Gonzalo Lebrija a passé 15 jours de l’été 2006 à descendre la route qui va jusqu’à la pointe Sud de la Basse Californie. Il s’est souvent arrêté et a photographié. Il était en moto et pas n’importe quelle moto, une BMW R75/5, dont les flancs de réservoir chromés reflètent le paysage comme des miroirs déformants (d’où son surnom, Toaster).

Les 66 ensembles exposés à la Galerie Laurent Godin jusqu’au 4 octobre sont tous composés sur le même modèle : une assez grande photo en couleur du paysage tel qu’il se reflète sur le chrome de la moto, une plus petite photo de la moto sur sa béquille, in situ, en noir et blanc, avec parfois le même élément de paysage (inversé bien sûr) que dans la photo couleur, et entre les deux, les liant, les situant, un petit carton où sont indiqués date et heure, coordonnées GPS, distance du point de départ, température, et un paramètre inconnu de moi, exprimé en msnm (ensuite, j’ai trouvé : ‘metros sobre el nivel del mar’).
Les 66 photos se déroulent chronologiquement au fil des murs de la galerie, selon un processus rigoureux, immuable; en l’arpentant lentement, on suit le périple de l’artiste, pas à pas, kilomètre après kilomètre. Les photos en couleur sont déformées par la courbe du réservoir, les lignes verticales se courbent, se tordent, les formes deviennent floues, comme dans un mirage de chaleur, elles basculent vers le côté, s’effondrent doucement. Il y a là des maisons et des bateaux, des cactus et des poteaux, des épaves de voiture et des cailloux, pas un seul être animé, ni homme, ni bête. Lebrijo, en cow-boy moderne, avance dans un désert d’après la fin du monde, d’où toute vie a disparu, où ne sont que des fantômes. Et nous le suivons. Ce fut samedi, une des expositions les plus marquantes dans cette orgie de vernissages de rentrée.

Photos courtoisie de la galerie, série Toaster 2006,92 x 62 cm, Lambda print, édition 2/3, n°s 14, 36 et 54/66. Photo de la galerie par l’auteur.