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Gênes

Publié le 10 septembre 2008 par Lironjeremy
Gênes

On avait tellement discuté à savoir ce que c’était de placer la poésie à l’horizon qu’on abordait la route un peu vides, parfaitement silencieux, le crâne comme une chambre d’écho. On avait dit comme ça et avec peu de mots. La route porte et on se perd en soi tandis que quelque chose dans le paysage s’écoule, ou s’étend. On se perd dans sa perte, parfaitement détaché en somme et vaguement stupéfait. Quelque chose s’épanche et un oiseau marin passe au ciel bleu, vraiment.

A droite, la mer en contre-bas et le ciel, confondus. Des bateaux minuscules avec le sillage blanc qu’ils estompent derrière eux. Quelques voiles. Tout ce bleu franc à l’à pic vers lequel les rochers abruptement s’escapent. Avec fluidité, sereinement.

Suspendue, la route alterne des tunnels brefs et des percées soudaines aussi lumineuses et paisibles que les tunnels sont gris, rugueux, bégayant devant eux l’écho répété de leur voûte.

On se lave à ce rythme de pressions et dépressions. La musique est un tunnel, et on dira aussi le tunnel dresse un rythme. Le tunnel dresse un rythme. Point commun avec la poésie.

Je ne sais plus bien si l’on voit surgir la ville en bas soudain, acculée à la pente, ou si les habitations d’abord rares se multiplient progressivement vers un épicentre supposé. Toujours est-il qu’une fois abordé ce qui fait la ville on traverse longuement le tissu distendu avec fenêtres, trottoirs et des parkings terreux, des quartiers ordinaires. Aussi le bus en l’autre sens qui vient.

On note cela : l’étendue étonnante de ces zones transitoires. La grande ville semble devoir se reporter toujours après la succession interminable de ses périphéries. Longtemps nous n’avons fait que l’aborder sans l’atteindre, sans jamais la voir vraiment.

On a croisé peut-être d’abord quelques industries désertes, une station service ou un garage. Des collectifs noircis flottant des lambeaux de toiles orange.

Au nord quelques barres d’immeubles colonisent les reliefs auxquels s’adosse la ville. Au sud la zone portuaire, d’abord la berge incertaine, quelques semblants de plage, puis l’avant port, les docks sur lesquels on distingue l’empilement des containers, des bâtiments de taule. Dans l’intervalle des choses qu’il aurait fallu pouvoir nommer pour les voir. Emmêlés par la perspective, les grues, les portiques distribués sur leur rails au bout du quai de chargements. D’ici on voit peut-être leur mobilité réduite à un allé-retour parallèle le long d’un axe bref inférieur à 200 mètres, ce que nous confirmera plus tard la lecture d’un plan détaillé de la zone.

La voie passe à hauteur des fenêtres, plonge sous des ensembles denses comme au cœur de la ville. Me venait cette réflexion : comme si tenter de penser la ville ici était déjà se perdre.

Seulement une fois du bout d’un quai il nous a été donné de constater un peu l’échelonnement des plans. Nous étions l’étendue ouverte de la mer dans le dos, comme placée entre les épaules et devant le bassin de plaisance, l’aquarium avec ses airs de vraquier reconverti et d’entrepôt. Les quais, les mats de l’éclairage public, quelques arbres cerclés de bancs. Quelques uns assis, parce qu’aussi la chaleur, exactement dans l’ombre. Plus loin enfin on voyait s’étager accrochés aux reliefs, que l’on avait vus encore et mieux désormais, des quartiers résidentiels, des immeubles avec vue.

A dire nous avions peu sauf notre étonnement. De ne parvenir à saisir quelque image de la ville comme on se saisit d’un visage.

Avec le soir nous avons regagné le périphérie proche et les pentes calmes d’un vieux quartier bourgeois plein de calme et de style. Comme en clandestins nous voyions sans nuances des pans alternés de sensations surgies. Les bâtisses toutes avec cet air ancien de palais en repos, de demeures de familles. Il y avait la ville de loin en indice par quelques lumières et à vrai dire très peu. Il y a eu le survol assourdissant d’un avion. Ça semblait ne pas devoir s’arrêter, le tremblement autour. Là aussi comme un tunnel.

Dormir dehors est comme dormir nu des moindres piétinements, du passage des voitures. Plusieurs fois des talons ou des conversations ont longé le trottoir en passant devant nous, et comme on se prépare dedans à ce point de tangence. Peut être qu’à se rouler plus sur soi même encore on pourra rêver de disparaître.

Une fois on a entendu à notre hauteur des rires.

Les pas, les musiques ou les conversations par les fenêtres ouvertes nous parviennent comme des petits animaux qui attendraient la nuit. Le matin est calme certainement d’avantage pieds tendus à la gueule des fontaines qu’on tourne et qu’on s’y frotte les dents au bord du sable gris et des cabanes de toile. Le cercle des marins s’en voit un morceau réservé à l’ombre des piles rouillées, une rambarde repeinte souvent où on appuierait ses mains pour regarder ce trait, ces deux bleus différents. Un cargo n’est-ce pas dans le fond, gris.

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