La fin des temps est venue.

Publié le 10 septembre 2008 par Francisbf

Non, je ne parle pas de la fin de la terre dans un nouveau big bang ou un trou noir dû à l'audace de scientifiques inconscients, ça a été bien assez abordé et de toute façon, c'était faux, la preuve, on est là. Non, je parle de la fin de mon temps. Je ne suis plus rien.

Il y a peu, encore, je faisais partie d'une élite : j'étais ingénieur agro-halieute spécialisé en gestion des zones côtières. En réorientation plus ou moins subconsciente, peut-être, mais néanmoins l'heureux produit d'une formation présentée avec de gros égards pour notre ego et celui du professeur responsable de ladite formation, aujourd'hui retraité.

Si je me souviens bien, il devait y avoir des mots qui sonnaient bien dans l'intitulé de notre spécialité, comme " gestion " (ça, j'en suis à peu près sûr ), " développement ", " intégration ", " durable ", j'en passe et des meilleurs.

C'était des beaux mots, dont l'application sur notre amour-propre apaisait la brûlure de la conscience de notre inutilité et de la vanité de notre existence. Mine de rien, ça soulageait un peu, tout ça. Ca nous faisait oublier que ce qu'on avait appris de plus important en trois semestres, c'était de pas mélanger rouge et rosé au même repas.

Puis on était ensemble dans cette formation, un tiers de notre promotion de vaillants halieutes, rudes au mal, au visage tanné par l'air rude de la Bretagne intérieure, de fines rides au coin de nos yeux constamment agressés par le brassage d'air constituant nos cours. Un fameux tiers, y'avait Coin-coin, le plus gentil de l'école, y'avait Edouard, le psychopathe à capuche, Alex qui portait une peau de bébé phoque sur la têtee, et co-fondatrice du CCC (Comité Contre les Cétacés), et y'avait les autres, et on était là, soudés, un groupe dans un groupe, une élite GIZC dans une élite halieute, ça donnait du baume au coeur et du Guy Cotten dans les armoires, on était beaux, on était fiers, on était vivants, on sentait bon la marée matinale.

Aujourd'hui, ma vie s'est effondrée, et des larmes salées comme la mer que ma formation voulait me faire protéger roulent le long de mes joues, coulent dans ma barbe, éclaircissent ma soupe aux nouilles. Ma raison d'être, l'ultime étape de ce que devait être ma formation, ce vers quoi devait tendre ma vie, la spécialité GIZC de l'ENSAR, mon école, a disparu.

Notre usurpation a été mise à jour. L'inutilité publique de tout ce à quoi on croyait a été reconnue officiellement. Nous ne sommes plus rien. Je ne suis plus rien.

Comme me le disait avec optimisme Alex, nous sommes des collectors. Mais un collector, c'est rarement un truc que tu vends des mille et des cents sur eBay, c'est plutôt un truc que tu mets au placard sans le sortir de son emballage. Que tu regardes à peine. Dont tu espères vaguement qu'il prendra de la valeur mais sans trop y croire, car quelles sont les chances ? Infimes.

Nous sommes finis. Bon, c'est pas comme si on s'y attendait pas un peu, hein. Déjà, un an avant la fin de la formation, on suppliait les plus jeunes de ne pas faire la même erreur que nous. On savait que la vie ne nous réservait rien de bon. D'ailleurs, Alex, elle bosse chez Nathan, maintenant, bien loin de l'halieutique, des zones côtières et des embruns.

Chienne de vie.

Nous ne sommes plus rien. Et maintenant, je me rends compte qu'on n'a jamais rien été.

Snirfl.