La série de posts qui va suivre sur Bolaño est une traduction foutrement libre d'un article de Francisco Goldman, The Great Bolaño, parut dans la New York Review of Books en juillet 2007. Avant que la frénésie ne gagne le F.F.C. ...
I.
Né à Santiago du Chili en 1953 il fut souvent demandé à Roberto Bolaño si il se sentait chilien ou bien espagnol lui qui vécut en Catalogne jusqu'à sa mort. A moins qu'il ne se sente d'avantage mexicain ayant passé, entre le Chili & l'Espagne, dix ans à Mexico.
Parfois il répondait simplement qu'il était un sud américain.
D'autres fois il disait que la langue espagnole était sa véritable patrie.
Puis, invariablement, d'ajouter qu'il n'existait en fait qu'un seul & unique passeport: la qualité de son écriture.
La qualité de son écriture – pas seulement le fait de bien écrire, ça tout le monde est capable de le faire, mais savoir comment plonger la tête dans les ténèbres. Savoir comment plonger tout entier dans le vide. Savoir que la littérature est une vocation essentiellement dangereuse.
Oui, pour Bolaño les inséparables dangers de la vie & de la littérature & les relations qu'entretiennent les deux sont au coeur (des ténèbres) de son écriture. L'énormissime 2666, qui fera l'objet d'une autopsie approfondie par les chums du Fric-Frac Club, entérinera un peu plus cette relation quasi insestueuse.
La vie. La violence. La littérature.
On a souvent comparé Bolaño à Borges pour de multiples raisons: entre autres leurs passions dévorantes pour les livres, leurs fantastiques éruditions, leur penchant pour les tourbillons métaphysiques. Bolaño avait beaucoup d'admiration pour l'argentin, c'est un fait. A plusieurs reprises on l'a surpris en train de rêver à une vie sédentaire, tournée entièrement vers l'écriture, entouré d'amis partageant les mêmes intérêts que lui.
Mais c'est aussi un fait que la vie de Bolaño fut autrement plus sauvage que celle de Borges.
***
Bolaño est donc né dans la capitale chilienne mais passa une bonne partie de son enfance en province. Son père, & ça tout le monde le sait déjà, était un camionneur doublé d'un boxeur tandis que la madre était enseignate. Ils émigrèrent au Mexique en 1968, année où l'armée prit d'assaut le campus de l'université de Mexico & tua plusieurs centaines d'étudiants (faits retranscrits depuis les toilettes dans Amuleto).
Très vite Bolaño décide de devenir poète mais il devra attendre encore un peu.
En 1973, il est alors âgé de 19 ans & se décrit lui-même comme trotskyste, Bolaño décide de retourner au Chili. Il entreprend un voyage le long du continent sud américain qui le mènera, parmi plusieurs péripéties, à fréquenter le chef de la guérilla salvadorienne. Il arrive enfin au Chili peu de temps après le coup d'état de Pinochet. Bolaño est arrêté & passe une semaine en prison avant que deux anciens collègues de classe ne le reconnaissent & ne le libèrent.
Volver a Mexico.
En 1974, le poète Mario Santiago (qui sera le modèle d'Ulises Lima dans Les Détectives Sauvages) & Bolaño se rencontrent lors d'une soirée avec quelques amis communs. De cette nuit mexicaine naîtra un mouvement poétique violemment opposé à la « culture officielle » qu'ils nomment le Movi-miento Infrarrealista. Leurs pères tutélaires sont les Beats de Kerouac, les dadaïstes, les poètes maudits comme Rimbaud & Lautréamont, mais aussi quelques figures obscures comme Sophie Podolski, une jeune poète belge qui se suicida en 1974. Elle avait vingt ans.
A l'extrême opposé de leur admiration se trouve l'intellectuel d'état, le poète institutionnel, le représentant de la « culture officielle » tant détestée. Un type du genre Octavio Paz par exemple. Les infrarréalistes interrompirent à de nombreuses reprises les lectures publiques de Paz en lui balaçant de la sauce à la figure & essayèrent même de saboter la cérémonie au cours de laquelle Octavio Paz devait recevoir le prix Nobel.
Le manifeste infrarréaliste est l'un des plus vieux textes disponibles de Bolaño (seulement en espagnol sur le site officiel des Infrarrealistas). Dans un court essai, Déjenlo Todo, Nuevamente, dont le titre reprend un poème d'André Breton, il exhorte ses collègues: « Le poème est un voyage & le poète est le héros qui dévoile les héros. » Cette phrase écrite par le jeune Bolaño éclaire de manière intéressante les thèmes développés par le Bolaño écrivain, notamment dans Étoile Distante, Les Détectives Sauvages & 2666 qui foisonnent littéralement de poètes « détectives » à la recherche d'autres poètes mystérieux/disparus &/ou criminels.
Roberto Bolaño publie son premier livre à Mexico en 1976. Il s'agit bien sûr d'un recueil de poésie dont le titre est Reinventado El Amor. L'année suivante il part pour l'Espagne où il s'installe pour quelques temps à Barcelone. Peu après paraît au Mexique Muchachos Desnudos Bajo El Arcoiris de Fuego, une anthologie de jeunes poètes sud américains parmi lesquels on retrouve son ami Mario Santiago. Il gagne un pris mineur en 1984 pour Consejos de un Discìpulo de Morrison a un Fanàtico de Joyce , co-écrit avec Antoni G. Porta.
Puis, plus rien pendant dix ans. Le monde n'entend plus parler de Roberto Bolaño.
Durant cette décénie il va enchaîner les petit boulots dont le fameux gardiennage de camping & s'installe à Blanes, pas très loin de Barcelone.
Avant toute chose, & il ne cessera jamais de le répéter, Bolaño se considère comme un poète. Ce qui est d'ailleurs étrange lorsque l'on sait qu'en dehors des pays hispanophones il n'est pratiquement connu que comme romancier.
Poète donc.
Mais en 1990, lorsque lui & sa compagne Carolina Lopez ont un enfant, il se rend compte que désormais il a une famille à charge. Quelque chose d'extrêmement prosaïque certes mais redoutablement réel. Bolaño est pauvre, étranger & comme poète il est difficile de faire plus obscur. Il décide alors de gagner sa vie en écrivant des romans & sur les conseils avisés d'un ami s'inscrit à plusieurs concours régionaux avec un roman sous le bras: La Piste de Glace.
La machine Bolaño est lancée.
L'année suivante il gagne un prix à Tolède avec Monsieur Pain (l'histoire d'un homme qui sillonne Paris à la recherche d'un poète... déjà!). Son roman suivant, La Littérature Nazie en Amérique, que beaucoup comparèrent à Une Histoire Universelle de l'Infamie de Borges, est une sorte d'encyclopédie d' ignobles écrivains imaginaires. Jorge Herralde, le patron de la fameuse maison Anagrama, voulait absolument éditer ce livre mais Bolaño était si pauvre qu'il n'avait pas le téléphone & Herralde ne put le contacter avant que le roman ne soit déjà publié, pour une misère, par un autre éditeur.
Par contre.
Par contre, Anagrama ne laissa pas passer le suivant, Étoile Distante (1996), & publia le reste de l'oeuvre de Bolaño jusqu'en 2003.
Année de sa mort.--------------------------------------De par la galaxie Fric-Frac, Bolaño chez:AntonioBartlebyFaustoOtariePedro BabelThomzUntel