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Par Lazare

II.
L'Amérique Latine est l'asile de fous de l'Europe. Un sauvage, pauvre, violent asile où, malgré le chaos & la corruption, si vous ouvrez grand les yeux vous pourrez y voir l'ombre du Louvres.
_ Roberto Bolaño, Bolaño por sì mismo.
D'après l'un de ses personnages, Mauricio « The Eye » Silva, la violence, la véritable violence, est inavouable pour ceux qui virent le jour en Amérique du Sud dans les années 50 & qui eurent dans les vingt ans à la mort d'Allende. & c'est un fait que cette génération, confrontée à une ritournelle de brutalités tortionnaires, politiques & morales, trouve dans l'oeuvre de Bolaño un écho vibrant. Vibrant à l'extrême.
La violence donc, encore une fois.
Avec Bolaño nous sommes loin, très loin de la façon dont la grande génération d'écrivains & de poètes sud américains – Gabriel Garcìa Marquez, Mario Vargas Llosa, Pablo Neruda, Octavio Paz ... - appréhendait les redoutables relations entre littérature & politique. Durant la violente (c'est un mot dont il va falloir s'habituer) décennie de la Guerre Froide ces vieux auteurs utilisèrent fréquemment la chaire de leur notoriété afin de supporter tel ou tel camp. Mais dans leurs oeuvres littéraires, peut être à l'exception de Neruda, ils tentèrent de transcender la réalité politique immédiate de façon non didactique, détournée. Dans un essai daté de 1960 ( Pourquoi est ce que tous les romans sur la violence sont ils mauvais?) le jeune Garcìa Marquez houspillait les romanciers qui écrivaient trop brusquement & oubliaient qu'un « roman ne se révèle pas dans la mort [...] mais dans le vivant. ».
Dans les textes de Garcìa Marquez, écrivait Vargas Llosa en 1971, « les thèmes sociaux & politiques, bien que primordiaux apparaissent de manière oblique ». Comme dans la fameuse scène du massacre des ouvriers de la plantation de bananes dans Cent Ans de Solitude. De tels romanciers, poursuit Vargas Llosa, déclarent la guerre à la banalité quotidienne & essaient de la supplanter: « Écrire des romans est un acte de rébellion contre la réalité [...] chaque roman est un déicide secret, un assassinat symbolique de la réalité. »

Bolaño, lui, ne prenait pas de gants lorsqu'il parlait de la violence, bien qu'il prétendait qu'elle fonctionnait dans ses livres « par accident comme partout ailleurs » (le passage à tabac d'un chauffeur de taxi dans 2666 par exemple).& puis aussi cela:
Étoile Distante raconte l'histoire de Carlos Wieder un assassin, non pas de la réalité, mais de jeunes femmes poètes. Wieder, assassin donc & médiocre poète surtout, s'inscrit dans un atelier d'écriture où se trouvent le narrateur aponyme & quelques étudiants parmi lesquels les deux jumelles Veronica & Angelica Garmendia. Lorsque Pinochet prend le pouvoir la plupart des étudiants de Santiago se cachent ou disparaissent (certains pour toujours). C'est le cas des jumelles qui se réfugient chez une tante à la campagne. Wieder les y retrouve. Ensemble, ils passent la nuit à réciter des poèmes & à parler, comme se l'imagine le narrateur, d'Enrique Lihn, un poète de gauche & de poésie engagée. Si les jumelles avaient été plus attentives elles auraient sans doute remarqué l'ironie dans les yeux de Wieder lorsqu'elles parlaient de poésie engagée (« De la poésie engagée. Je vais vous en donner moi de la poésie engagée. »). Durant la nuit Wieder exécute la tante dans son sommeil. Quelques minutes plus tard quatre hommes débarquent de nulle part & sont introduits dans la maison par Wieder. Nous en sommes réduits à imaginer ce qu'ils firent jusqu'au matin, mais la conclusion semble claire: « & les corps ne furent jamais retrouvés. En fait non, un corps, un seul fut découvert dans les gravas. Le corps d'Angelica Garmendia, mon adorable, mon incomparable Angelica. Seulement le sien, comme la preuve que Carlos Wieder n'était qu'un homme & pas un dieu. »
Carlos Wieder se met alors au service de Pinochet comme pilote d'avion (???) & c'est dans l'aviation qu'il trouve le moyen de faire renaître sa vocation littéraire. On le voit écrire des poèmes dans le ciel à l'aide de ses réacteurs fumigènes. Très vite, il est salué, essentiellement par les proches du nouveau régime, comme le « poète majeur de son temps » pour ses vers célestes (« La mort est responsabilité... La mort est amour... » hum que c'est beau).
Puis Wieder disparaît. Dix ans. Comme Bolaño avant lui, pendant dix ans.
Le narrateur, désormais en Espagne, essaie de suivre les insaisissables traînées que Wieder laisse derrière lui. Apparaît alors un détective chilien mandaté par un mystérieux bienfaiteur. Celui-ci paie le narrateur pour qu'il cherches des traces de Wieder qui se manifesterait dans quelques obscures revues. A moins qu'il n' appartienne à la secte parisienne des « Écrivains Barbares » qui communient avec le travail de Stendhal, Hugo & d'autres en se masturbant ou en chiant dans leurs livres? Possible.
Dans l'une de ces publications le narrateur tombe sur un essai proposant que « la littérature soit écrite par des gens qui n'y connaissent absolument rien... Pareille révolution serait l'abolition de la littérature elle-même ». Pour le narrateur ça ne peut être que Wieder. S'ensuivra quelques pages assez noires.

Carlos Wieder incarne l'archétype de l'artiste médiocre/raté qui, par pure vengeance, frustration, hait son art & ceux qui le pratiquent.
Le personnage de Wieder apparaissait déjà dans La Littérature Nazie en Amérique & à propos de ce livre, Bolaño dit à un journaliste: « Son attention se porte sur l'univers de l'extrême droite bien sûr, mais la plupart du temps je parle de la gauche... quand je parle des écrivains nazis en Amérique, en réalité je parle du monde parfois héroïque mais le plus souvent ignoble de la littérature en général. »
Mais si les écrivains sont des gens si ignobles & médiocres, pourquoi devrions nous les aimer? Comment aimer la littérature & croire qu'elle puisse être héroïque?
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Un site trouvé par Antonio: Archivo Bolaño