A l’écart des fastes du nid d’oiseau et des jeux olympiques, Voyage au centre de la Chine, écrit par Frédéric Bobin, l’ancien correspondant du journal Le Monde à Pékin (de 1998 à 2004), et publié chez Picquier (poche), brosse les portraits de Chinois « ordinaires », rencontrés dans des classes sociales et régions très diverses.
Au gré des rencontres et des atmosphères que l’auteur s’attache à décrire, apparaissent les paradoxes d’un pays communisto-capitaliste particulièrement schizophrène. Un fabricant de contrefaçons de Viagra se retourne contre l’Etat qui l’a sanctionné pour prouver sa bonne volonté au groupe multinational qui en détient le brevet. Dans certaines régions, la mythologie de Mao est religieusement entretenue en de véritables sanctuaires, pendant que se développent de nombreuses écoles de football où les jeunes lorgnent vers les grandes équipes occidentales, leurs modèles.
L’image de la Chine que cherche à donner Frédéric Bobin est souvent noire. L’amertume des citoyens omniprésente. Leur parole confisquée. Leur existence niée. Au quotidien, c’est le règne de la débrouille et des combines, pour survivre. Certaines anecdotes apparaissent tristement cocasses, comme le financement indirect d’une maison close par l’argent public, via le remboursement des passes des bureaucrates en tant que « repas d’affaires », ou l’instauration d’une « banque de vertu » par un comité de quartier, instrument de contrôle et compensation dérisoire aux carences de protection sociale, qui abandonnent à leur sort les plus fragilisés.
L’observateur français cherche à comprendre comment les embryons sporadiques de révolte restent contenus, par la répression et la peur, par fatalisme, mais aussi par la manière habile dont le pouvoir central exploite les catastrophes (les inondations, le SRAS) à des fins de propagande. Rien de tel que créer une union nationale contre le danger pour endormir les consciences.
Le mérite et la force de ce Voyage au centre de la Chine, c’est de rendre concret ce dont on a déjà plus ou moins déjà entendu parler au sujet de la Chine. Chaque personne rencontrée, c’est une histoire particulière, une situation incarnée, un cadre de vie planté à la manière d’un reportage, une petite parcelle de cet immense pays. Juxtaposés, ces portraits donnent un aperçu de la diversité et de la complexité chinoise, que l’on a du mal à appréhender vu de France. Cette mosaïque du désenchantement, pour émiettée qu’elle soit, montre au grand jour le douloureux revers du miracle économique chinois.
Article à paraître prochainement dans Sitartmag