Nicolas Sarkozy a choisi l’apaisement dans le dossier Edvige en demandant à sa ministre de l’Intérieur d’ouvrir rapidement une concertation suivie de décisions pour protéger les libertés. Les propos des responsables de l’UMP rappelant la filiation d’Edvige avec le fichier des RG mis en place sous la gauche en 1991 n’aura pas suffit à atténuer la polémique. Au contraire. Les gouvernements passent, les administrations et leurs projets liberticides restent.
La bataille contre le fichier Edvige (Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale) semble prendre une bonne tournure. Le président de la République ne semble pas prêt à se mettre à dos les forces vives de la société sur un sujet qui ne présente aucun intêret politique direct même si, contrairement aux apparences, Nicolas Sarkozy, ancien ministre de l’Intérieur, ne peut que connaître dans le détail un projet qui n’a jamais quitté les tiroirs de l’administration.
L’erreur de Michèle Alliot Marie aura été d’être trop explicite en laissant clairement apparaître que les personnalités politiques seraient concernées. Aussitôt dans toutes les têtes, le lien a été fait avec les pratiques de John Edgar Hoover patron du FBI de 1924 à 1972 et qui s’était constitué des dossiers sensibles à partir desquels il a influencé, menacé ou fait chanter la classe politique américaine.
Evidemment, il n’y a pas de mauvais outils mais de mauvaises utilisations possibles. Toute la responsabilité politique est de trouver un point d’équilibre, de mettre des garanties pour éviter tout débordement ou utilisation abusive. Soit c’est concrètement possible et le projet est recevable soit, ces garanties sont hypothétiques et donc non recevables.
La pratique du fichage n’est pas nouvelle. Elle a toutefois été révolutionnée par les moyens informatiques qui l’ont considérablement renforcé par sa simplicité et les possibilités de croisements d’informations. S’interroger sur Edvige et le fichage devrait amener à aller au bout du raisonnement. A débattre notamment de l’existence et du contrôle dans une démocratie moderne d’une police aux contours flous suspectée d’être politique ou utilisable à des fins politiques. Depuis le mois de juillet a ainsi été constitué dans la plus grande indifférence un vaste ensemble de la sécurité intérieure, la Direction Centrale du Renseignement Intérieur, né de la fusion des RG et de la DST.
La tentation du flicage n’est ni de droite ni de gauche mais le produit d’une obsession sécuritaire difficilement compatible avec les libertés publiques. Au-delà des barbouzeries du gaullisme, les écoutes peu glorieuses mitterrandiennes, Le Monde rappelle que même la gauche qualifiée de morale avait succombé à la tentation sécuritaire. En 1990, le premier ministre de l’époque Michel Rocard avait donné son feu vert à la naissance, officielle, du fichier des RG. Dans deux décrets, parus le 4 février et le 1er mars 1990, il était précisé que les ” origines raciales ” des personnes fichées pouvaient être mentionnées ainsi que les opinions politiques, religieuses ou philosophiques de personnalités issues du monde politique, syndical ou associatif. Un front du refus avait alors réuni le Syndicat de la magistrature, le MRAP, SOS-Racisme, mais aussi Simone Veil ou Charles Pasqua, obligeant M. Rocard à faire volte-face. Le 3 mars, la mort dans l’âme, le premier ministre annonçait le retrait des décrets : « Les libertés publiques sont une chose beaucoup trop essentielle pour faire l’objet de polémiques. » Un an plus tard, le gouvernement Cresson publiera deux nouveaux décrets, adoptés sans difficultés. Les ” origines raciales ” n’y figurent plus, ni les opinions remplacées par les ” activités ” politiques ou religieuses de celles et ceux qui jouent ” un rôle politique, économique et social significatif ” ou ” ayant sollicité, exercé ou exerçant ” un mandat public.
En 17 ans les nouvelles technologies ont considérablement progressé et les angoisses sur le fichage avec. Edvige ne représente qu’une bataille. Il convient d’aller au-delà et de figer dans le marbre de nos institutions des mécanismes de contrôle puissants et indépendants de l’exécutif. C’est notamment au parlement, garant des libertés individuelles, de veiller à cela, au delà d’une émotion passagère, en donnant par exemple à la CNIL des moyens d’action et d’investigation conséquents.
Illustration: John Edgar Hoover