Auprès de mon village, je vivais heureux ?
Il est vrai que l’idée du Paradis est très personnelle. Je ne veux rien en dire qui touche de trop près à mes convictions, qui ne sont pas même des espoirs. Mais je dois bien avouer que le terme d’Eden m’avait poursuivi tout au cours des modestes recherches bibliographiques que j’ai menées sur les Parcs et Jardins.
Le mot jardin étant un équivalent du terme Paradis, le jardin d’Eden venait se placer très naturellement au centre du livre que je rédigeai durant l’été 1998, dans un mois d’août luxembourgeois très chaud. J’habitais alors à l’hôtel, comme d’ailleurs pendant presque trois ans et demi avant que ma tour moyenâgeuse ne m’accueille, mais j’avais alors choisi un hôtel bon marché dans la banlieue de Thionville, vers Yutz, entre les horizons des quatre cheminées de la centrale nucléaire de Catenoom et les effluves des industries chimiques qui rampent le long de la Moselle.Il fallait être convaincu de l’importance de cet ouvrage pour supporter les horizons concentrés qui s’offraient chaque matin à mon regard et sans doute absorber l’antidote paradisiaque que constituaient mes lectures, pour me vautrer dans les pelouses anglaises ou poursuivre les monstres de Bomarzo.
En rentrant aujourd’hui à Luxembourg, c’est d’un autre EDEN dont il s’agit. Le projet est européen et concerne les destinations d’excellence, les destinations émergentes européennes.
Le patrimoine immatériel est au cœur du thème de cette année et le Grand-Duché est le vingtième pays de l’Union Européenne à avoir décidé de s’associer au projet.Rétrospectivement, puisque j’écris ce texte avec trois mois de distance, je suis assez content d’avoir été invité à participer au jury. Je le fais rarement. C’est en fait le deuxième jury de l’année puisque le prix Dexia de l’innovation touristique m’a également permis de mieux saisir certaines initiatives du pays où je vis.
Les candidatures étaient peu nombreuses et donc, paradoxalement, le choix était relativement difficile parce que l’ensemble des critères appelaient à récompenser l’innovation tout en puisant dans la transmission orale, écrite, gastronomique ou festive et que finalement, confiantes en leurs traditions pendant des dizaines d’années, les petites villes du Luxembourg n’ont du se contraindre d’innover que dans la période la plus récente.
Clervaux, ville de l’image, site de l’exposition emblématique « Family of Man » et Vianden, adepte du lvre et de la carricature, faisaient partie de la liste avec ma ville : Echternach.
Que mon environnement familier ait pesé ou pas, mais je n’étais qu’un membre parmi d’autres, c’est ma ville qui est lauréate.Et la procession dansante, le scriptorium et le festival de musique, ontcréé la distance de l’expérience réussie.
Je ne sais pas trop en fait ce que l’Union Europenne peut espérer de la distribution de tels diplômes. Il s’agit sans doute d’une compétition plus battante pour les grands pays, où la bataille touristique est vraiment engagée entre Nord et Sud, côtes et montagnes.Mais à l’échelle d’un état où, passer ses vacances à Echternach, n’a rien de contradictoire avec le fait d’aller découvrir Steichen à Clervaux et suivre les pas de Victor Hugo à Vianden, la concurrence entre l’Est et le Nord, constitue une sorte de jeu de rôle, à l’achelle d’un échiquier sur une table, plus qu’une véritable concurrence.
Mais il y a un côté rassurant devant un certain intangible et dans le sentiment de dominer un espace concret somme toute restreint.
Je me dis très souvent que si le Premier Ministre luxembourgeois est si sage, c’est que le territoire qu’il dirige et aménage avec discernement, le protège des crises perpétuelles que traversent bien de ses homologues. Le plus ancien premier ministre d’Europe en fonction pratique un exercice de bon gouvernement à petite échelle, que les plus grands pays lui demandent de transposer sans savoir que le calme de l’homme, seul, est transposable. Le reste est de l’ordre symbolique ou financier, mais dans les deux cas, c’est de l’ordre du secret.
C’est en effet une plus grande sagesse encore de se tenir à l’exacte marge où ses paroles portent. Dans son village, au milieu des siens, dans les trois langues officielles qu’il domine, celle de sa famille et celles des discours.
Alors que l’on comprenne bien qu’entre les expéditions européennes, mon propre village joue aussi pour moi, le rôle d’une marge protectrice. Je n’ai pas dit par contre que j’étais devenu sage pour autant !