Sauf que... Nos soldats tomb??s ?? Kaboul sont bien moins les victimes de la guerre contre le terrorisme que de celle men??e contre la drogue. Vous ne voyez pas le rapport ? Pourtant...
Alors que, malgr?? une r??surgence des attaques d'Al Qaeda mi 2007, la guerre d'Irak, longtemps pr??sent??e comme un bourbier par la plus grande partie de notre presse, est consid??r??e comme presque gagn??e par tous les observateurs objectifs (m??me lib?? l'admet), la guerre d'Afghanistan, o?? l'o croyait la victoire rapide, est aujourd'hui en passe de d??g??n??rer en conflit difficile pour la coalition, tout comme il fut un calvaire pour l'arm??e rouge durant les ann??es 80. Pourquoi, alors que tout portait ?? croire que la pacification serait bien plus ais??e en Afghanistan que sur les rives du Tigre, la situation s'est elle ?? ce point renvers??e ?
La r??ponse est simple. En Irak, les am??ricains ont bris?? les cellules d'Al Qaeda et les milices para-islamistes de Moqtada Al Sadr en s'int??grant ?? la population, et en se focalisant sur la lutte contre les fauteurs de troubles dont les irakiens ??taient lass??s. Forts d'un soutien populaire croissant, au contraire des terroristes, ils ont pu de plus en plus facilement rep??rer et neutraliser les groupes arm??s hostiles ?? la pax americana.
En Afghanistan, l'inverse s'est produit. Les arm??es alli??es, suite ?? leur victoire militaire ??clair, furent d'abord accueillies en lib??ratrices par une grande partie des afghans qui avaient beaucoup souffert du totalitarisme du r??gime du mollah Omar. D'un seul coup, la population, bris??e par des ann??es de guerre, l'occupation sovi??tique et la dictature islamiste, reprenait espoir, et acc??dait ?? un niveau de libert?? individuelle dont elle n'avait jamais pu r??ver auparavant. Pourtant, d??s 2004, les signes d'un retournement de la population ??taient mis au jour par quelques observateurs. Aujourd'hui, les arm??es alli??es sont per??ues par une part croissante de la population comme une entit?? ennemie, notamment dans la moiti?? sud du pays. La raison ? Les arm??es am??ricaines ont voulu adjoindre ?? l'objectif prioritaire que constituait la lutte contre les organisations terroristes fondamentalistes, un second objectif politique majeur de toutes les administrations am??ricaines depuis les ann??es 80: la lutte contre la production d'H??ro??ne. Les repr??sentants de la DEA se sont lanc??s d??s 2002 dans un programme de... destruction massive des champs de pavot dont l'Afghanistan est de tr??s loin le premier producteur mondial.
Ted Galen Carpenter, chercheur au Cato Institute, pr??venait, d??s 2004, que la guerre contre le terrorisme serait irr??m??diablement perdue en Afghanistan si les USA persistaient ?? vouloir s'ali??ner les paysans afghans en coupant leur principale source de revenus. Le Senlis Council, un think tank ind??pendant international, a publi?? de tr??s nombreux rapports, gr??ce ?? un r??seau de plus de 50 correspondants sur place, montrant que la politique de destruction de champs d'opium jetait dans les bras des talibans des milliers de paysans des campagnes afghanes. Or, l'Afghanistan est un pays ?? la fois rural et montagneux. Les russes l'ont appris ?? leur d??pens: celui qui y perd le contr??le des campagnes, offre ?? l'adversaire une base id??ale pour pr??parer des assauts mortels contre Kaboul et autres positions strat??giques.
Bien que la part de la valeur ajout??e du trafic de drogue per??ue par les paysans afghans soit tout ?? fait n??gligeable par rapport aux profits r??alis??s par les autres acteurs de ce commerce, des raffineurs aux distributeurs, elle fait souvent la diff??rence entre un niveau de vie mis??rable et la capacit?? de s'offrir une vie meilleure, au dessus de la "ligne de survie". Dans un pays o??, dans les ann??es 90, 1 enfant sur 5 n'atteignait pas l'??ge de 5 ans, le pavot est le plus souvent la bou??e de sauvetage des familles rurales les plus modestes. Environ 30% de la population afghane tire une grande partie de ses revenus de la drogue aujourd'hui.
En aidant les familles plac??es en d??tresse par la destruction de leur moyen de survie, et en organisant le trafic, les talibans jouent sur du velours. L?? o?? l'arm??e r??guli??re afghane paie ses soldats 40$ par mois, l'argent de la drogue permet aux talibans d'offrir 300$ ?? ses combattants, et de trouver un soutien populaire leur permettant de monter des actions militaires de plus en plus ambitieuses contre les troupes alli??es. Aujourd'hui, toujours selon le Senlis Council, leur emprise sur le "triangle d'or" est importante, pour ne pas dire majeure. La reprise en main du sud par les talibans n'est pourtant pas une bonne nouvelle pour une grande part de la population. Les ??coles de filles sont massivement ferm??es, voire d??truites, des enseignants assassin??s, partout o?? les obscurantistes islamo-fascistes reprennent le contr??le du pouvoir. Et la conception de la vie en soci??t?? des talibans, notamment vis ?? vis des femmes, n'a absolument pas ??volu?? depuis leur chute en 2001.
Cette politique a-t-elle au moins permis de r??duire la production de drogue afghane ?? destination de l'occident ? Au contraire. Chaque champ d??truit tend ?? augmenter le prix de la mati??re premi??re, le pavot, et ?? convertir de nouveaux paysans ?? cette culture. De plus, il n'y a pas que les talibans qui tirent profit de la prohibition. Une grande partie de l'entourage du pr??sident Karza?? participe activement au trafic, en le prot??geant ou en l'organisant. Les saisies d'opium ou d'h??ro??ne sur le territoire Afghan repr??sentent moins du quart des saisies totales, alors que l'on estime que 93% de la production mondiale y est aujourd'hui concentr??e. Les prix de d??tail de la drogue afghane ne cessent de chuter, signe que la production reste abondante. Comme tous les pays producteurs, l'Afghanistan est ??galement confront?? ?? une augmentation de la consommation.
La politique de prohibition, parce qu'elle multiplie d'un facteur 20 ?? 100 le prix de d??tail des drogues par rapport ?? celui d'un m??dicament suivant exactement les m??mes processus de production, et parce qu'elle place de facto le commerce de ces substances aux mains de mafias plut??t que dans celle de l'industrie pharmaceutique civilis??e, alimente des conflits, des guerres de gangs, des gu??rillas, et des circuits de corruption massive qui ne d??stabilisent pas que l'Afghanistan.
Les FARC colombiennes, malgr?? les succ??s r??cents du gouvernement Uribe, b??n??ficient toujours d'appuis solides dans certaines r??gions rurales de Colombie. Dans les 10 derni??res ann??es, on estime que 35000 colombiens ont directement trouv?? la mort du fait de la guerre contre la drogue, et que pr??s de deux millions, g??n??ralement de la classe moyenne, ont fui le pays. Une telle saign??e n'est pas sans cons??quence graves sur l'??conomie... Pour ceux qui sont rest??s.
La guerre contre le narco trafic lanc??e par le pr??sident du Mexique Felipe Calderon depuis fin 2006 a d??j?? fait pr??s de 5000 morts. Certaines villes de la fronti??re am??ricano-mexicaine sont devenues plus dangereuses que Bagdad. L'immigration clandestine vers les USA atteint des sommets, m??me des mexicains ais??s cherchant ?? fuir l'ins??curit?? montante.
Qui peut s??rieusement oser affirmer que les probl??mes de sant?? publique li??s ?? la consommation de la drogue, quels qu'ils soient, justifient des politiques prohibitionnistes qui engendrent de tels r??sultats ? D'autant plus que de nombreuses ??tudes montrent que la prohibition ne fait qu'amplifier les probl??mes li??s ?? la consommation de drogue dans nos pays.
Les profits marginaux ??normes promis par le trafic poussent les dealers ?? cibler les adolescents les plus fragiles, et ce d??s la cour de l'??cole. L'??ge moyen des toxicomanes a d'ailleurs fortement augment?? aux Pays-Bas depuis la l??galisation de certaines drogues, signe que les scolaires sont moins touch??s. Les drogues vendues dans la rue, coup??es avec des substances non pr??vues pour un usage intraveineux (d??tergents, talc, vernis ?? bateaux, poudres plastiques...), se r??v??lent plus dangereuses du fait de ces excipients que du principe actif des drogues elles m??mes. Le dosage parfois al??atoire des drogues provoque r??guli??rement des overdoses, dont le nombre officiel est largement sous-estim??. Les toxicomanes, criminalis??s, ne peuvent facilement trouver de l'aide. Les structures hospitali??res ne peuvent pas mener une recherche efficace sur la drogue, ses effets et ses rem??des, faute de pouvoir monter des protocoles de recherche l??gaux. Plus prosa??quement, les h??pitaux souffriraient d'une p??nurie de morphine l??gale.
Et surtout, le budget n??cessaire ?? la consommation de drogues dites dures pousse de nombreux toxicomanes soit vers la prostitution, soit vers d'autres activit??s ill??gales: braquage, prox??n??tisme, etc... Aux USA, 0,7% de la population est sous les verrous, dont plus de 70% pour des affaires li??es, directement ou indirectement, ?? la drogue... Et le budget total des prisons atteint 44 milliards de dollars. Stup??fiant !
Imaginons que demain, la consommation de drogues soit totalement l??galis??e, ainsi que la production et la vente sous r??serve du respect d'une r??glementation minimale afin d'??viter que l'h??ro??ne ou le crack ne ne soient vendus ?? c??t?? des paquets de bonbons en grande surface (par exemple, en imposant la vente en officines m??dicalis??es). Le budget moyen d'un toxicomane serait ramen?? ?? quelques dizaines d'euros par mois (une tablette de morphine l??galement produite en Inde a un prix de revient de... 3 cents). La d??linquance li??e au besoin de drogue serait ramen??e ?? pratiquement z??ro. Les trafiquants dispara??traient du paysage, remplac??s par des soci??t??s pharmaceutiques responsables de leur actes et des distributeurs agr????s, oblig??s d'informer leurs clients sur les dangers potentiels de leur produit. Plus aucun dealer ne ferait le si??ge des coll??ges, faute de marges suffisantes.
Les h??pitaux et les laboratoires pourraient enfin lancer des recherches ?? la fois sur les cures efficaces pour toxicomanes, mais aussi sur les possibilit??s th??rapeutiques offertes par ces substances, aujourd'hui tr??s sous exploit??es. Depuis que les usages th??rapeutiques de la marijuana ont ??t??, sous certaines conditions, l??galis??s en Californie, une industrie dynamique qui ne demande qu'?? exploser ?? vu le jour.
Pour le paysan Afghan, l'op??ration serait ??galement profitable: certes, le prix de la mati??re premi??re serait plus bas, mais les circuits de vente aux producteurs de drogues l??gales ne seraient plus grev??s par le co??t d'entretien du service d'ordre taliban, et la fin du risque de voire sa r??colte d??truite par des soldats diminuerait la "prime de risque" qui affecte cette activit??. Il est probable qu'un certain nombre de paysans seraient conduits ?? pr??f??rer d'autres cultures, comme les ??pices.
Et surtout, les talibans perdraient leur principale source tant de financement que de soutien populaire. Les chances de d??collage ??conomique de l'Afghanistan seraient accrues, du fait des moindres profits r??alisables ?? travers la corruption des officiels. La d??mocratie fragile naissante s'en trouverait renforc??e. La fin de la prohibition ne r??glerait pas tous les probl??mes de violence dans le monde, loin s'en faut, mais elle les all??gerait grandement.
Et, j'ai failli dire "accessoirement", nos soldats vivraient encore.
Il est plus que jamais urgent que les USA et les nations d'Europe s'interrogent sur le bien fond?? de leurs politiques prohibitionnistes. Cela n'a rien d'impossible. Les t??moignages de policiers anti-drogue et de magistrats qui comprennent que la guerre contre la drogue est de toute fa??on perdue se multiplient. Les travaux scientifiques, les enqu??tes montrant les ravages de la prohibition sont innombrables et commencent ?? se faire une place dans certains journaux.
Le saviez vous ? Si les lois am??ricaines ??taient appliqu??es dans toutes leur rigueur, l'??pouse d'un des deux candidats ?? la maison blanche, et l'autre candidat en personne, devraient ??tre poursuivis pour usage de produits ill??gaux, tout comme 46% des am??ricains qui disent avoir consomm?? au moins une fois ces substances. Faudrait-il donc que Cindy Mc Cain et Barack Obama soient enferm??s pour provoquer une prise de conscience salutaire ?
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Lire ??galement : Cannabis.free.fr, tr??s nombreux textes de qualit?? anti-prohibition, et ma "vieille" interview pour l'institut Hayek, "En finir avec les impasses de la prohibition"
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