L'exposition sent bon le marketing : sponsorisée par Morgan Stanley, c'est une "sold out - once in a lifetime exhibition", "exhibition of the year", "most famous", etc. On fait la queue tôt le matin, c'est plein à craquer, on se dit que si on ne trouve pas ça époustouflant on a forcément pas bien regardé.
Au risque de passer pour sévère, je dirais que l'exposition en elle-même, d'un strict point de vue esthétique, n'a rien d'extraordinaire.
Le déplacement à Londres d'une dizaine de statues de soldats est certes une prouesse formidable, mais elle ne peut recréer l'effet saisissant des 7000 statues et plus du mausolée de Xian. Or c'est bien cela que l'on vend, en projetant des images du site sur les murs de l'expo, et dans le sous-titre de l'expo, "the terra cotta army". Cela fait penser à toutes ces expos où l'on vous donne des indices de ce que ça pourrait être, en vous faisant juste sentir que c'est formidable. Voir le commentaire de Daniel Arasse sur l'aura de Benjamin : dans les expos modernes, et malgré l'avènement de la reproduction technique, l'aura de l'oeuvre n'a pas disparue, bien au contraire, : on l'entretient savamment en construisant sa rareté, par des limitations horaires, en célébrant la trace et la reproduction au même titre, voir davantage que l'original.
Soyons toutefois honnêtes : pour son aspect historique, documentaire, l'expo reste époustouflante. Le parcours éclaire la vie et l'oeuvre du premier empereur, sans doute déjà très connu des sinophiles, mais dont j'ignorais tout. Pur génie politique, militaire et administratif, doublé d'une mégalomanie hors du commun, l'empereur Qin, dirige dès 15 ans une armée victorieuse, unifie la langue (peu ou prou le chinois actuel), unifie le système de poids et mesures, pose les bases d'un système de communication routière efficace, relance et consolide la construction d'une grande muraille de protection du royaume (distincte de la Grande Muraille de l'époque Qing XVIIè-XVIIIè siècle). Des vitrines intéressantes éclairent la mise au point d'armes et arbalètes dont les pièces peuvent être facilement remplacées (gain de temps face à l'ennemi) ou encore les petites roues des chars (meilleure stabilité donc avantage sur l'adversaire).
Surtout, l'empereur se fait enterrer avec une armée entière de soldats peints, en terre cuite, tous différents, avec chevaux, armures, armes, et tutti quanti. Non seulement des hommes en armes, mais aussi des animaux rares (oiseaux), des jongleurs et des artistes pour divertir l'impériale dépouille dans l'au-delà. Le site archéologique est sans doute le plus impressionnant du monde, il paraît qu'on est encore bien loin d'avoir tout excavé. La dizaine de statuettes exposées (toutes magnifiques) ne peut donner qu'une (très) faible idée de ce que tout cela peut donner "en vrai" et surtout de ce à quoi tout cela pouvait ressembler "à l'époque". Mais l'idée même d'avoir voulu recréer le monde pour ensuite l'ensevelir avec soi peut donner lieu à maintes rêveries, qui valent le déplacement. Concevoir pareille entreprise suffit pour entrevoir ce que le philosophe Kant appelait "l'infini mathématique", une intuition qui dépasse les bornes de la perception possible (ou quelque chose d'approchant). Bref
C'est aussi en cela que l'expo fleure bon le marketing. Ici tout est grand, spectaculaire, fabulous. Rien ne semble avoir jamais résisté à l'aura magnifique d'un empereur dont on nous retrace l'histoire à la façon d'une chevauchée épique. Pour un aperçu, cliquer ici.
Bientôt un post sur La renaissance Siennoise.
Voir également Les soldats de l'éternité, jusqu'au 14 septembre 2008 à la Pinacothèque de Paris