La collection des "Journées qui ont fait la France" chez Gallimard offre toujours de jolis moments de lecture. Les classiques des classiques, comme Le Dimanche de Bouvines (Georges Duby, avec une préface-leçon de Pierre Nora) ou L'assassinat d'Henri IV (Roland Mousnier) se dévorent d'une traite. Plus récemment, Varennes (Mona Ozouf : ab-so-lu-ment fantastique) ou le massacre de la saint Barthélémy (Arlette Jouana) font partie d'une série de volumes qui renouvellent et enrichissent la célèbre série initiale des "30 journées qui ont fait la France" créée il y a plus d'un demi siècle.
Ce qui frappe déjà à première vue, c'est l'ambition de la collection de se pencher sur des "événements fondateurs", un peu à la façon des "lieux de mémoire", pour mettre en évidence leur signification dans le cours historique, la façon dont ils illustrent ou incarnent dans les faits ou dans le souvenir des mutations de long terme, l'esprit d'une époque, un certain rapport au monde.
Varennes, c'est la "fuite" du roi Louis XVI : c'est la journée où l'impensable se produit : le roi a déserté son peuple. Celui dont on ne savait trop que faire après 1789, mais qui restait nimbé d'une sorte d'aura sacré, en tant que personne garante de l'unité et de l'intégrité de la nation, a voulu fuir. Le 21 juin 1791, il n'y a ni bataille, ni effusion de sang, il n'y a en somme aucun des éléments associés à la "journée révolutionnaire". Et pourtant, à Varennes, Louis XVI s'est décapité lui-même. Pendant ces quelques heures de voyage, la France s'est trouvée "sans roi" et sa fuite marque l'entrée de fait dans un ordre des choses où la souveraineté passe de la personne royale à l'assemblée nationale.
Dans son dernier livre sur la Saint Barthélémy, Arlette Jouanna (voir également l'excellent dictionnaire des guerres de religion) met elle aussi en lumière la signification politique du 24 Août 1572. Mené comme une enquête policière (qui a tué Coligny ?), l'auteur démêle les paradoxes de l'événement (la tuerie juste après les fêtes de réconciliation, les assassinats perpétrés par la population, malgré les appels au calme du roi) et souligne la façon dont on s'efforce alors, dans l'entourage de Charles IX, de distinguer les questions religieuses d'une part, et politiques d'autre part. C'est le début d'une réflexion promise à un riche avenir, jusqu'à notre laïcité. C'est aussi l'événement qui pose la question du statut du pouvoir royal : pour assurer la paix, le roi doit-il être radicalement sacré, au dessus de la mêlée, détenteur du pouvoir absolu ? Ou doit-il au contraire être l'arbitre d'un gouvernement collégial, entouré des représentants des grandes composantes de la nation, animateur d'une politique des compromis ?
Depuis Louis XIV, on sait que la première solution devait l'emporter. Mais elle n'avait rien d'inéluctable, et c'est tout l'intérêt de cette présentation des événements, de les replacer dans les mutations de long terme (qui les relativisent), mais aussi de les restituer dans leur actualité, c'est-à-dire cette sorte de "flottement des possibles" : quelque chose s'est passé, qui aurait pu ne pas être, devant lequel on ne sait pas trop que faire, et qui finit par infléchir ou accélèrer le cours historique dans une direction qui n'était pas déterminée. Dans tous ces événements, on ressent cette sorte d'hésitation de l'histoire, ce "flottement" constitutif, au double sens du terme. Constitutif parce qu'il est inhérent à l'événement historique, mais aussi parce qu'il le constitue, et le désigne comme fondateur. Moins pour ce qu'il apporte de victoires ou de conquêtes que par les questions structurantes qu'il met à jour.
27 juillet 1214, Le dimanche de Bouvines, Georges Duby, Gallimard
24 Aout 1572, La Saint Barthelemy, les mystères d'un crime d'état, Arlette Jouanna, Gallimard
21 Juin 1791, Varennes, la mort de la royauté, Mona Ozouf, Gallimard
14 mai 1610, L'assassinat d'henri IV, Roland Mousnier, Gallimard, Folio
Site de la collection "Les journées qui ont fait la France"
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