La fontaine de Duchamp marque l'entrée fracassante du banal dans l'art. L'artiste est celui qui "transfigure le banal", qui désigne un objet ready-made et par cette seule volonté l'érige au rang d'oeuvre, et le soustrait à son usage quotidien. L'art n'est pas une affaire de travail, de talent, de beauté, il est avant tout affaire d'intention de l'artiste. Depuis ce geste fondateur, on est progressivement passé de la transfiguration à la banalisation du banal. Les passages sur Warhol sont parmi les plus suggestifs : avec lui la frontière entre l'art et les médias s'émousse, la volonté de transfigurer banal disparaît. Le banal n'a plus eu besoin d'être extrait de son cadre quotidien, il vaut de plus en plus pour lui-même. N'importe qui peut revendiquer son quart d'heure de visibilité publique. On cherche à montrer le banal dans ce qu'il a justement de banal, d'inintéressant, ou de vulgaire, jusqu'à Loft Story. A moins que les émissions quotidiennes, en extrayant dans le flux continuel des phrases vouées à devenir cultes, ne reproduisent sous une autre forme le geste inaugural de Duchamp. Au fil de ce parcours, et une fois le banal totalement banalisé, surgit par contrepoids l'envie de nouveau, d'originalité, le souhait de voir réapparaître d'authentiques experts, de véritables artistes.
François Jost reste sévère dans sa vision de la télé-réalité comme simple banalisation du banal. Dans les concepts de tv réalité depuis le Loft, il ne s'agit plus seulement de "montrer" le banal. Au contraire, il peut s'agir d'explorer les conséquences du passage brutal de l'anonymat à la gloriole (ce que Jost n'ignore pas), d'observer les progrès accomplis dans un domaine particulier (musical par exemple), ou de confronter le jugement du public au jugement des experts (dans La Nouvelle Star par exemple, ou la dernière édition de la Star Académy). Cette confrontation du jugement de goût et du jugement selon des règles au sein d'une communauté esthétique est un thème majeur de la critique d'art, abordé par Kant. Elle aurait pu compléter le travail effectué, car Jost semble se focaliser largement sur la "voracité de l'oeil" et l'aspect visuel du banal qui n'en est qu'une dimension.