Lorsque Richard Avedon réalise ses premiers clichés, la photo de mode est dominé par une esthétique compassé, stricte, figée, présentant des mannequins immobiles dans des mises en cènes convenues. Comme il est bien dit à un moment de l'exposition, Richard Avedon oppose à tout ce formalisme une série de "non", qui deviendront vite les bases de son esthétique. Non aux décorum inutile, non aux sourires figés, au poses convenues ; oui au fond nu, oui au portrait, oui à la vérité de ce qui passe entre le sujet et le photographe. L'exposition du jeu de paume offre à ses visiteurs une très belle occasion d'explorer un à un les piliers de cet univers esthétique, au fondement de toute une imagerie photographique contemporaine, et qui est en même temps révélatrice d'une époque, de ses aspirations et de ses vedettes.
Le peach des organisateurs est simple : Richard Avedon va libérer les codes de la photo de mode à Paris dans les années de l'après guerre : plus de mouvement, plus de vie, les mannequins sourient, les drapés flottent, de brèves scènes de la vie parisienne affleurent dans le décor minimaliste où chaque trottoir est une scène, chaque troquet une salle de bal. On ne s'étonnera pas de retrouver cartel après cartel le nom de Christian Dior, autre libérateur de la mode après les années de privation. Avedon aime associer l'univers de la haute couture avec celui moins glamour des jeux du cirque, des arrières-salles de bar tabac, où les dames du monde s'encanaillent en compagnie des caïds de quartier. De cette association entre les robes du soir et les éléphants, les chapeaux et les jongleurs, le comble du chic et l'univers freak, naît un imaginaire nouveau, puissant, à la fois joyeux et mystérieux, dont on retrouve aujourd'hui les échos dans la nouvelle communication du luxe.
"In the american west" installera définitivement Avedon au panthéon des artistes contemporains. Reconnue dès sa publication comme un chef d'oeuvre, la série expose les visages d'une population de l'ouest américain victime d'une très grave récession au début des années 1980 : sdf, paumés, mineurs de fond, ouvriers de champs d'exploitation pétroliers, serveuses, laissés pour compte du grand rêve américain. Des portraits plus vibrants d'humanité les uns que les autres, qui laissent chacun un sentiment doux amer proprement sidérant. Sur fond blanc, détachés de leur contexte social d'appartenance, qui a pourtant parfois cruellement marqué leurs vêtements, leur visage, leurs mains, des SDF ont des airs de stars du cinéma, des serveuses de mannequins . Le temps d'une photo, dans ce face-à-face hypnotique avec un individu, sans décor, la photographie aura redistribué pour certain d'entre eux les cartes de la destinée sociale. Et parfois pas.
Tout au long de ce parcours de près de 300 photos, retraçant l'ensemble de la carrière de cet immense artiste, le visiteur pourra apprécier la densité et la constance du travail accompli. Pas une star du monde du show biz, de la littérature ou des arts de la seconde moitié du siècle dernier ne manque à l'appel, des locataires fantasques de la factory d'Andy Warhol à Björk, de Marguerite Duras à Giaccometti, en passant par Marilyn Monroe, Les Beatles, Stravinsky (peut-être l'un des plus beaux de toute l'expo). C'est chaque fois l'occasion d'un moment profond d'humanité. Saisissant. On espère que ceux qui s'intéressent ou commencent à s'intéresser à la photographie s'y précipiteront, car ils ne manqueront pas de le regretter.
Richard Avedon, photographies 1946-2004, du 1er juillet au 27 septembre 2008, Jeu de Paume (Concorde) Paris.
Voir également ici, une chouette interview
Homage to Munkacsi. Carmen. Coat by Cardin. Place François-Premier. Paris. August 1957. © Richard Avedon
xx
Clarence Lippard – Drifter
Insterstate 80, Sparks, Nevada 08/29/83
Igor Stravinsky, NYC, 11/69. Richard Avedon, courtesy Avedon Foundation, The New York Times