Pour ne pas oublier aussi vite Rigori Stern et la sagesse de sa mémoire.
Dans De senectute, Bobbio écrit : “Quand tu parcours les lieux de mémoire, les morts se pressent autour de toi, et leur groupe devient chaque jour plus nombreux. La plus grande partie de ceux qui t’ont accompagné t’ont abandonné. Mais toi tu ne peux plus les effacer comme s’ils n’avaient pas existé. Au moment où tu les rappelles à ton esprit tu les fais revivre, au moins pour un instant, et ils ne sont pas tout à fait morts, ils n’ont pas complètement disparu dans le néant…”
Dans ces lumineuses journées de fin d’hiver je pars presque chaque matin par une route en plein bois avec mes skis légers aux pieds; et aujourd’hui c’est le cher Primo Levi qui m’accompagne. Jadis il m’avait écrit qu’il aurait voulu tout abandonner, prendre ses skis et venir avec moi; mais il lui était difficile de sortir de la ville : les embouteillages, le trafic sur l’autoroute, les obligations qu’il avait, et bien d’autres choses encore, ne lui permettaient pas de le faire. Maintenant, dégagé de ces liens, il peut le faire et il m’attend au carrefour où la route forestière, que le chasse-neige ne déblaye pas, se détache de la nationale et s’enfonce entre les arbres encore décorés par la dernière chute de neige.”