Je savais Dick parano, mais ce n’est qu’en lisant Je suis vivant et vous êtes morts, la biographie romancée qu’Emmanuel Carrère a consacrée en 1993 à l’auteur d’Ubik, dont est tirée la phrase éponyme, que j’ai découvert à quel point Philip Kindred Dick (1928-1982) était fêlé.
Je savais Emmanuel Carrère attiré par les cas limites, mais en s'intéressant à ce schizoïde-manipulateur-tyrannique-endogame-compulsif-shooté-au-speed, dont l'imagination foisonnante déborde de beaucoup le style, il livre non seulement un livre passionnant, qui s'immisce totalement dans les fêlures de l'œuvre pour mimer la pensée déréglée de Dick et ainsi jeter un éclairage rétroactif des plus pertinents sur ses grands romans SF, mais il laisse aussi apercevoir une cartographie en creux de son imaginaire, dont une hypothétique trinité pourrait être composée de Dick, Kafka et Lovecraft - triangle maudit par sa géométrie qui ne répond en rien aux axiomes d'Euclide.
Bien sûr, un esprit scientifique, attaché à une vérité factuelle, pourrait lui reprocher de ne pas se cantonner aux faits avérés et d'user de son imagination d'écrivain pour combler les espaces entre les mots... mais ce serait dénier à l'imagination la puissance d'approcher par la bande une vérité qui, regardée en face, a plus souvent tendance à se dérober qu'à se dévoiler. Et quand il s'agit de folie pure, c'est peut-être encore la meilleure solution. Il faut aussi reconnaître à Carrère le travail de fond qui sous-tend cette biographie sérieuse et barrée.
Résumer la vie et l'œuvre de Dick, autrement que par ce livre, ne me semble que vaine paraphrase.
- Emmanuel Carrère, Je suis vivant et vous êtes morts, Le Seuil, « Points », 6,95 €.