Contre-pied

Par André Dziezuk
S'avancer vers le point de pénalty, poser calmement son ballon sur le petit rond blanc. Ne rien révéler par avance.
L'autre viendra provoquer, c'est sûr, fera son petit numéro habituel. Ne pas le regarder, garder son calme, s'éloigner en l'ignorant. Fixer ensuite le cadre le regard dans le vide. Ne rien laisser présager.
Prendre son élan et tirer. Attendre l'erreur. Le moment d'anticipation, quasi-inévitable. La chute du corps de l'adversaire d'un côté pour placer sa balle de l'autre. Le contre-pied parfait.
Mettez-vous un instant à la place du gardien de but et vous aurez une petite idée de ce que l'on peut ressentir à l'écoute de "Volta" , le dernier disque de Björk. Le contre-pied parfait. Ca me fait le coup à chaque fois. Je peste et je râle au début. J'adore en fin de compte. Entre temps, il m'aura fallu une dizaine d'écoutes pour m'y faire. C'est que l'animal est rétif, se laisse difficilement approcher. Vous êtes dans le zig. Il est dans le zag. Vous croyez le saisir, il vous tient, vous passe entre les jambes et vous fait un pied de nez de surcroit. La fée islandaise (à moins qu'il ne s'agisse d'une sorcière) n'est jamais où on l'attend.
Ce coup-çi, retour à la terre, spontanéité et crasse entre les doigts de pied. Pas de quartier. Ca démarre fort avec "Earth Intruders", tous ergots dehors : beat tribal, tripal, signé Timbaland (producteur de Justin Timberlake et de toute la crème du Rn'B). Motif pentatonique entêtant, Kalimba ou Balafon ? Une marche guerrière que rien ni personne ne saurait arrêter. Le clip signé Michel Ocelot (le papa de Kirikou) est une merveille. Son visage de fée à la fin du film...
"Wanderlust" nous fait entendre les sirènes de l'apocalypse (espèce de conques ? conque toi-même !) et les premiers cuivres sombres dont l'ensemble du disque sera parsemé. Rock rauque. Toujours du lourd en dessous. Distortion et urgence. Planant au dessus de la mêlée, une mélodie sublime et déchirante. La vraie marque de fabrique de Björk. Voix crue, sans apprêt. Pas nécessaire d'en rajouter.
Toujours ces cuivres sombres, hérités de "Drawing Restraint 9" et de "Dancer in the Dark" dans "Dull Flame of Desire". Des filles islandaises aux cuivres. Un duo, cette fois, avec Antony Hegarty — au risque de vous commander, procurez-vous son disque si ce n'est déjà fait; hautement recommandable —. J'avais secrètement rêvé de leur accouplement. S'ils font des petits, vous m'en gardez un ? Un duo sur planche à clous. Pas question de canapé. Ca gronde grave. Mariage de déraison.
Un nouveau beat de sauvage (référence à Pascal Sevran ?) concocté par Timbaland dans "Innocence", trois fois rien. Minimalisme et efficacité. Rien à ajouter.
Puis un moment en apesanteur, en suspension. Vous voyez les nuages dans le ciel ? Ben, vous voyez... Petite électronica, électrons niqués ? Des couches qui s'ajoutent. Une pipa chinoise qui joue parfois free. Puis plus rien, et les trompettes qui reviennent à l'attaque, aigues cette fois. Vous êtes au ciel. Saint-Pierre ? C'est vous ? "I see who you are".
"Vertebrae by Vertebrae" semble tout droit sorti d'un film réalisé par Hitchcok. A moins qu'il ne s'agisse de Kubrick. Très cinématographique. Une violence sourde, des cuivres toujours. Une marche vers l'échafaud ? Voix déchirante. Basse sublime à 3'58''. La terre s'ouvre sous vos pieds. Retour à l'enfer.
A moins qu'il ne s'agisse à nouveau du paradis ? "Pneumonia". Ecoutez plutôt. Apesanteur. Agravitation. Eden ou Walhalla. Beau à pleurer. Les cors mettent le vôtre à rude épreuve.
Mélange improbable encore. Kora (Toumani Diabaté) et basse dub sur un lit de tablas. Contre-pied toujours et encore. Pas indispensable ?
Voix destroy et beat du même tonneau. "Independance" tonne et gronde, fulmine et vitupère. Gros retour de flamme. Ames sensibles s'abstenir. "Raise your flag ! Higher ! Higher !". Si Nina Hagen cherchait d'aventure une fille cachée, elle viendrait de la trouver.
Retour au calme, à la félicité. "My Juvenile". Antony à nouveau. Clavicorde. D'où lui vient ce gout prononcé pour les instruments à cordes pincées ? Un jour, on écrira une thèse sur le rapport qu'elle entretient avec cette famille. Pipa, Kora, Clavicorde. Du beau monde.
Autant Medulla, son précédent opus, m'avait laissé sur ma faim (trop produit, léché, intellectualisé ?), autant Volta risque de squatter longtemps ma platine. Pas facile d'abord, ce disque réservera de bons moments à qui saura faire fi des convenances musicales en vigueur.
Bon, c'est pas tout, mais je vais me prendre un petit Orangina, remettre mes gants et retourner dans les cages pour refaire une petite séance de pénos. J'adore être pris à contre-pied !