Christophe Honoré, je l’aime. 17 fois Cécile Cassard fait partie de ces films qui m’ont donné envie de connaître mieux le cinéma français, Dans Paris m’a poussé à me faire des cycles Nouvelle Vague, Les chansons d’amour donnait envie de se replonger dans l’univers de Demy…
En ce sens, Christophe Honoré fait partie de ces artistes qui vous présente des œuvres mais qui vous propose d' aller vers d’autres univers de par des références plus ou moins marquées, toujours assumées. Il y a quelque chose, comme de la reconnaissance, du respect, que je ressens envers ce cinéaste. Il m’a touché, cela relève de l’ordre de l’intime. Je l’ai déjà croisé (une fois à Nancy alors qu’il offrait un débat après la projection de Dans Paris, une fois à Cannes en sortant d’Actrices de Valeria Bruni-Tedeschi, le mardi 2 septembre pour la première de son film au cinéma Le Panthéon de Paris auquel j’ai eu la chance de me faire inviter) , je ne lui ai jamais parlé et pourtant quand je regarde ses films il y a quelque chose de familier, comme si on me présentait le nouveau long-métrage d’un ami, de quelqu’un dont je suis proche. Mon avis sur son nouveau film, La Belle personne (téléfilm commandé par Arte qui sera diffusé le vendredi 12 septembre puis sortira en salles le 17), n’est donc pas forcément « neutre ». Quoi que j’en dise, avant même de le voir j’étais surexcité. Car pour la peine j’ai lu pour la première fois La princesse de Clèves de Madame de Lafayette. J’ai dévoré le livre en un week end, passionné par ce triangle amoureux, ces sentiments étouffés et cette vertue aussi admirable que quelque part destructrice. La curiosité de voir l’adaptation que Christophe Honoré en ferait était grande, d’autant plus qu’il a choisi de déplacer LA cour du livre à « une cour de lycée » dans son film. Quand l’univers d’Honoré se mêle à l’adolescence, cela fait des étincelles…
La critique
Le spleen adolescent magnifié par un réalisateur libre et inspiré
Suite à la mort de sa mère, Junie (Léa Seydoux), une adolescente de seize ans, arrive dans un nouveau lyçée dans le seizième arrondissement de Paris. Sa beauté singulière ne tarde pas à être l’objet de toutes les convoitises. Intégrée aux autres élèves par le biais de son cousin Matthias (Esteban Carvajal Alegria), Junie fait rapidement la connaissance du gentil Otto (Grégoire Leprince-Ringuet) qui ne cache pas son attirance pour elle. Très vite, un amour adolescent se créé entre eux. Mais ce qu’Otto ignore, c’est l’attirance foudroyante, et le malaise qui en découle, que Junie ressent pour Nemours (Louis Garrel), son professeur d’italien. Ce dernier , habitué à avoir plusieurs flirts en même temps (en l’occurrence une prof et une élève) , semble totalement envouté par le charme noir de cette lycéenne pas comme les autres. Un amour interdit grandit alors, poussant Junie, Otto et Nemours dans un implicite triangle amoureux, aussi dévastateur que passionné. Cette tragédie intime passe pour le moment inaperçue dans les couloirs du lycée ou d’autres amourettes désespérées sont l’objet de tous les tracas personnels…
Dans un Paris grisâtre et mélancolique, Christophe Honoré nous entraine avec La belle personne en plein spleen adolescent. Le film commence, les portes du lyçée s’ouvrent et on découvre ce petit monde où l’amour est roi et au centre de toutes les préoccupations. Il y a quelque chose de très fluide dans la réalisation et la notion de passage est un des principaux axes. Que ce soit un billet doux passé en cour, des regards gênés qui se croisent ou tentent de s’ignorer ou une lettre égarée qui va de main en main, tout « se passe » ici bas. Et on serait tenté de dire que pendant l’adolescence, période où tous les sentiments sont exacerbés, il ne faut pas s’inquiéter : « ça passera ». Sauf que quand on est ado, ce genre de paroles, on y croit pas trop. Lorsqu’il voit Junie pour la première fois, Otto est tout excité. Amour pur venant d’un garçon pur qui ne cache jamais ses émotions. Le problème est que l’objet de son affection est une fille insaisissable, comme perdue dans un autre monde. Derrière le regard triste de Junie se cache une passion enfouie. Celle qu’elle ressent pour son professeur d’italien, un garçon plus mature, séducteur, dangereux. Christophe Honoré parvient à saisir toute l’urgence de la jeunesse, son excitation et aussi et surtout ses cruelles désillusions.
Son adaptation de La Princesse de Clèves est très libre et moderne. On aurait pu s’attendre à un côté un peu bitchy à la Gossip Girl avec rumeurs et mesquineries. Mais le cinéaste n’est pas racoleur, il opte toujours pour la subtilité et préfère se concentrer sur la douleur des sentiments, en livrant une œuvre au final personnelle et très intimiste. La chronologie des évènements, les situations, les caractéristiques des personnages : tout est détourné de la façon la plus maligne qui soit. Pas du tout prisonnier de son adaptation, Honoré se sert de la dramaturgie de l’œuvre de Madame de Lafayette, son essence, pour service son histoire de teenagers en mal d’amour. Alors que dans le livre on se retrouvait facilement assommés par tous ces noms de princes et de princesses aux destins relativement tragiques, ici ces intrigues deviennent des amourettes d’adolescents contrariées. Et voilà qu’avec chaque intrigue secondaire, le réalisateur nous offre de vrais moments de grâce. Une bibliothécaire belle et énigmatique dont la vie sentimentale est révélée façon « journal filmé », la fameuse lettre perdue qui devient une histoire d’amour gay aussi touchante qu’amusante…Pour ceux qui s’attendaient à voir « un joli téléfilm », la surprise sera grande tant La Belle Personne est une œuvre cinématographique à part entière, de par chacun de ses plans.
La tristesse, les incertitudes des adolescents sont ici montrés en gros plans, accompagnés de silences qui en disent long quand ce ne sont pas de fabuleux dialogues qui leur volent la vedette. Certes, comme souvent dans ses films, Christophe Honoré se permet parfois d’être très littéraire. Mais cette maladresse avec laquelle certaines paroles sortent de la bouche de Louis Garrel ou Léa Seydoux, avec ce côté « sur le fil » ne rend le film que plus beau et troublant. Au final, cette adaptation dite contemporaine s’avère être un film universel sur l’adolescence et les premiers amours malheureux, ceux qui nous paralysent et qu’on oublie jamais. En un regard, en une parole, en une chanson (superbe passage chanté de Grégoire Leprince-Ringuet), en un plan : Christophe Honoré raconte l’amour, raconte tout. Et ça, c’est aussi rare que c’est beau.
Avec Louis Garrel, Léa Seydoux, Grégoire Leprince-Ringuet, ...
Année de production : 2007