Il y a 40 ans Modiano publiait son premier livre, « La place de l’étoile », un roman inclassable, bigarré, multiforme. Le titre se réfère à une histoire juive placée en exergue « Au mois de juin 1942, un officier allemand s'avance vers un jeune homme et lui dit : "Pardon, monsieur, où se trouve la place de l'Étoile ?" Le jeune homme désigne le côté gauche de sa poitrine ».
Roman hanté par la question juive, « la place de l’étoile » raconte les mémoires fantasmatiques et hallucinatoires des multiples identités que prend le narrateur Shlemilovitch, tour à tour juif collabo, khâgneux, émigré en Israël, grand écrivain ou séducteur qui capture les femmes pour les donner à un réseau de traite des blanches. Tantôt martyr, tantôt bouffon, tantôt bourreau, ce personnage résume à lui tout seul un pan de l’histoire du judaïsme. Dans ce patchwork bigarré où l’on passe sans transition d’une identité à une autre, le lecteur le plus attentif a beaucoup de peine à suivre le fil du récit. Car Modiano procède par visions, mêlant songe et réalité, faisant ressusciter des personnages historiques comme Proust, Céline, Drieu la Rochelle, Brasillach, Freud, Hitler…Il mêle les styles faisant alterner tragique, pastiche, parodie.
Au total, un roman brillant et audacieux mais peut-être moins attachant que les ouvrages plus récents comme « Dans le café de la jeunesse perdue » ou la «La petite Bijou ».
Patrick Modiano, "La place de l’étoile", Gallimard, 1968, 211 pages.