Reporter spécialiste de l’Irlande du Nord, Sorj Chalandon, était aussi l’ami d’un leader de l’IRA (armée républicaine irlandaise), Denis Donaldson, qui a avoué en 2005 être une taupe pour le compte des Britanniques depuis plus de 20 ans. Pour Sorj Chalandon, cette nouvelle provoqua un terrible choc. C’est certainement pour interroger cette trahison que le journaliste s’est créé un double littéraire, Antoine, le narrateur de « Mon traître », un luthier parisien peu à l’aise avec les mots.
Plus qu’une enquête historico-politique, « Mon traître » est un roman sur l’amitié. Dans presque 300 pages d’une écriture épurée composée de phrases courtes et sèches, Antoine raconte sa passion pour l’Irlande du Nord, les chants, la langue, la fraternité et surtout sa fascination pour Tyrone Meehan, un leader de l’IRA. 300 pages pour s’interroger sur une amitié : celui qui a trahi sa cause était-il aussi traître en amitié ? Comment expliquer sa trahison ? Celle-ci jette-t-elle un doute sur la sincérité des sentiments du traître pour le narrateur ? Le livre ne donne aucune réponse et laisse le lecteur dans le même état d’incertitude et d’incompréhension qui fut certainement celui de l’auteur face à la trahison. Si cette absence de réponse peut être frustrante pour le lecteur qui souhaite comprendre, elle n’en constitue pas moins un enseignement : celui de l’imperméabilité des êtres qui nous entourent. Mais ce parti pris peut aussi laisser le lecteur « à la porte » de ce grand livre, car l’auteur ne lui donne que peu de clés ; au terme de cette enquête, la fascination du narrateur pour son traître et les raisons de la trahison demeurent un mystère.
"Mon traître" de Sorj Chalandon, Grasset, 275 p. 17.90 €