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Anthologie permanente : Elizabeth Bishop (4)

Par Florence Trocmé

Paris, 7h du matin

Je me rends à chaque horloge de l’appartement
certaines aiguilles pointent histrioniquement dans une direction
et certaines dans d’autres, sur les cadrans ignorants.
Le temps est une Étoile ; les heures divergent tellement
que les jours sont des voyages autour des banlieues,
des cercles autour d’étoiles, des cercles qui se recoupent.
La gamme brève, en demi-tons, des climats de l’hiver
est une aile déployée de pigeon.
L’hiver habite sous une aile de pigeon, une aile morte aux plumes humides.
Regarde en bas dans la cour. Toutes les maisons
sont bâties ainsi, avec des urnes ornementales
plantées sur le faîte des mansardes où les pigeons
se promènent. C’est contre l’introspection,
de contempler l’intérieur, ou une vision rétrospective,
une étoile enclose dans un rectangle, un souvenir :
ce square vide aurait pu aisément être là-bas.
– Les châteaux de neige enfantins, en des hivers plus flamboyants,
auraient pu atteindre ces proportions, être des maisons ;
les majestueux châteaux forts, de quatre, cinq étages,
résistants au printemps comme à la marée les châteaux de sable,
leurs murs, leur forme, ne pouvaient se dissoudre et disparaître,
seulement s’imbriquer en une chaîne solide, changés en pierre,
jaunis et grisâtres aujourd’hui comme ceux-ci.
Où sont les munitions, les boulets empilés
avec leur cœur de glace en éclats d’étoiles ?
Ce ciel n’est pas un pigeon-guerrier-voyageur
échappant à des cercles sans fin intersectés.
C’est un ciel mort, ou bien d’où un qui est mort est tombé.
Les urnes ont recueilli ses cendres ou ses plumes.
Quand l’étoile s’est-elle dissoute, ou a-t-elle été happée par la série de carrés et carrés et cercles, de cercles ?
Les horloges peuvent-elles dire : est-elle ici, en bas,
près de culbuter dans la neige ?

Paris, 7 A. M.

I make a trip to each clock in the apartment :
some hands point histrionically one way
and some point others, from the ignorant faces.
Time is an Etoile, the hours diverge
so much that days are journeys round the suburbs,
circles surrounding stars, overlapping circles.
The short, half-tone scale of winter weathers
is a spread pigeon’s wing.
Winter lives under a pigeon’s wing, a dead wing with damp feathers.
Look down in the courtyard. All the houses
are built that way, with ornemental urns
set on the mansard roof-tops where the pigeons
take their walks. It is like introspection
to stare inside, or retrospection,
a star inside a rectangle, a recollection :
this hollow square could easily have been there.
The childish snow-forts, built in flashier winters,
could have reached these proportions and been houses ;
the mighty snow-forts, four, five, stories high,
withstanding spring as sand-forts do the tide,
their walls, their shape, could not dissolve and die,
only be overlapping in a strong chain, turned to stone,
and grayed and yellowed now like these.
Where is the ammunition, the piled-up balls
with the star-splintered hearts of ice ?
This sky is no carrier-warrior-pigeon
escaping endless intersecting circles.
It is a dead one, or the sky from which a dead one fell.
When did the star dissolve, or was it captured
by the sequence of squares and squares and circles, circles ?
Can the clocks say, is it there below,
about to tumble in snow ?

Elizabeth Bishop, Nord & Sud [North & South, 1946], édition bilingue, traduction de l’anglais par Claire Malroux, éditions Circé, 1996, p. 58-61.

Contribution de Tristan Hordé

Elizabeth Bishop dans Poezibao :
bio-bibliographie, extrait 1, extrait 2, extrait 3

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