À l’Isle /Sorgue, se déroule depuis le début de l’été, une exposition intitulée Les icônes païennes d’Ernest Pignon Ernest. Ce n’est pas un hasard si cette exposition se déroule dans la Maison René Char à l’Hôtel Campredon, car lorsqu’on se penche sur la biographie de l’artiste niçois, on s’aperçoit qu’en 1966, alors qu’il n’était que dessinateur pour des architectes à l’époque, il fait ses premières interventions in situ pour manifester contre l’installation de silos à missiles sur le plateau d’Albion, combat que mena férocement le poète de L’Isle/Sorgue.
Depuis lors, l’oeuvre d’Ernest Pignon Ernest est restée engagée. Par exemple, ce travail fait dans les rues de Soweto, pour dénoncer les ravages du SIDA dans le ghetto noir.
Cet engagement est porté par son expression graphique singulière et exigeante. Deux vidéos réalisées à vingt ans de distances montrent l’artiste lors de l’expérience qu’il fit dans les rues de Naples et l’autre plus récente sur le port de Brest. À Naples, c’est le Caravage qui l’inspire. Durant la Semaine Se religieuse très intense, Ernest Pignon Ernest, lui qui se dit athée, amène les passants à s’interroger devant ces images qui ont surgi, comme si elles venaient de l’au-delà. À Brest, c’est un hommage à Jean Genet qu’il va rendre sur le port en collant une sérigraphie bien particulière représentant un homme, semble-t-il inanimé, soutenu par deux autres.
Dans ces vidéos, on assiste à tout le travail préparatoire à ces installations. Les nombreuses photos et les non moins nombreux dessins préparatoires. Cela donne envie de prendre un crayon et de dessiner à son tour.
L’art qui sort des musées, qui va dans la rue, qui interroge, c’est une leçon que l’on devrait méditer. Les collages de ses sérigraphies disparaissent sous l’effet des intempéries, pas par vandalisme. Dans le film, un enfant napolitain est tenté de déchirer un panneau collé par Ernest Pignon Ernest, comme il le ferai d’une affiche publicitaire ou politique. Il se saisit d’un coin et avant qu’il ne le fasse un copain de son âge lui montre ce qui est représenté : un corps, peut-être un Christ. L’enfant prend un peu de recul, observe et renonce à son geste.
J’ai envie de rêver à des villes dont les murs seraient artistiques, nettoyés des agressions visuelles incessantes des publicités. La gratuité de montrer du beau, sans rien vouloir vendre n’est pourtant pas dans l’air du temps. Au Pays Doré, il n’y a pas un panneau publicitaire. Quand on y séjourne un certain temps, la vue est lavée de leur agression et le retour à la “civilisation” (de la consommation) est une souffrance pour l’oeil.