Scène 11
Les mêmes, moins l’ours
(La Grande Ourse retombe sur son siège, l’air désespéré. Un silence. On se regarde.)
LA GRANDE OURSE (sourdement)
Moi qui croyais hélas que vous me sauveriez
Et que ma bonne étoile enfin là vous seriez,
A présent, je le sais : par votre négligence
Vous venez d’achever le trône et la régence.
(Tout le monde baisse la tête, y compris Cunégonde)
Mais je me montre injuste et j’en suis désolée :
Vous êtes l’instrument et non pas la pensée.
CUNEGONDE
Je reconnais la faute et vous promet Madame
Que nous saurons contrer ces attaques infâmes.
Nous sommes coupables, nous voulons réparer
Ce que notre imprudence vient de déchaîner.
ROSIE
Avant notre arrivée, déjà la situation
Semblait désespérée. Ce n’est pas notre action
Qui a tout déclenché.
FIFI
Es-tu donc enragée ?
N’as-tu donc pas compris que nous sommes piégés ?
Et que sans cette erreur due à ta confusion,
Nous n’eussions pas donné une telle occasion ?
LANLAN
L’ennemi n’attendait que le moment propice
Pour acculer la reine au bord du précipice.
L’enlèvement d’Arielle et de mon égérie
Lui permet de montrer toute sa barbarie.
CUNEGONDE
Je veux croire, Rosie, que selon ta coutume
Tu parlas sans penser. Et maintenant assume.
(Rosie se jette encore à genoux devant La Grande Ourse mais personne ne prend garde à elle.)
FIFI (Bas à Lanlan, montrant Rosie)
Dans la diplomatie elle est catastrophique.
LANLAN (idem)
Elle n’est vraiment pas mieux au plan philosophique.
FIFI (idem)
Et pourtant l’argument n’est pas tout à fait faux.
LANLAN (idem)
C’est un fait, mon ami. Mais le dit-on tout haut ?
FIFI (idem)
La vraie coupable au fond, n’est-ce pas la Madone ?
LANLAN (idem)
Aux grosses conneries bien sûr elle s’abonne.
Elle n’a jamais su rester un peu tranquille
Et prend ce qu’elle fait pour acte d’évangile.
CUNEGONDE
Quand vous aurez fini toutes vos messes basses,
Vous m’aiderez peut-être à réparer la casse.
(Pendant ce temps, Rosie s’est relevée et époussette son manteau puis s’essuie la figure.)
Avez-vous une idée ? Evidemment que non.
Vrai, quelle utilité !
ROSIE (Epouvantée, se frottant le cou)
J’ai un triple menton !
CUNEGONDE
Ce n’est pas d’aujourd’hui. A ton sens esthétique,
Si tu joignais, Rosie, un peu de sens pratique ?
ROSIE
Je fais ce que je peux, et ne puis pas grand-chose.
Je sature vraiment.
FIFI (goguenard)
Est-ce donc l’overdose ?
LA GRANDE OURSE
Vous êtes fatigués, même vous Cunégonde.
Il faut vous reposer. Cette nuit une ronde
Nous protégera bien des assauts insensés
Que pourrait notre sœur sur la cour envoyer.
ROSIE (humblement)
Maintenant j’ai compris comment expier ma faute :
Mais je crains de manquer une tâche si haute
Et m’attirer ainsi, de mon cher Président,
Des reproches sanglants et des mots très cuisants.
CUNEGONDE
Qu’as-tu donc inventé ? Parle.
FIFI (A Lanlan)
On s’en balance.
A coup sûr ce tromblon retombé en enfance
Va nous prendre la tête avec un long discours.
LANLAN (se tournant de tous côtés)
Il n’y a pas par là une issue de secours ?
ROSIE (Inspirée)
O Cunégonde aimée, entends donc mes paroles :
Je jure sur mon âme et sur mes casseroles,
Afin de flageller mon cerveau si rassis
Et d’acquérir enfin quelques miettes d’esprit,
D’arriver au palais, telle une passerose,
Avec mes deux grands pieds dans deux beaux sabots roses.
CUNEGONDE (Estomaquée, tandis que Fifi et Lanlan pouffent)
Alors là, c’est un fait, le scoop est étonnant.
LANLAN (mort de rire)
Elle aura l’air de quoi ?
LA GRANDE OURSE (épouvantée)
Mais c’est horripilant !
CUNEGONDE
Et la chose, c’est sûr, fera un grand scandale.
Garde donc, je te prie, tes anciennes sandales.
FIFI
Et c’est très singulier. Changes-tu donc de camp ?
Tu trahis pour la rose et cela sur-le-champ ?
LANLAN (Affolé)
Ah non, vous la gardez ! Ca suffit d’une pieuvre !
De plus, je ne sais pas comment ça se manœuvre.
Et j’ai déjà assez d’ennemis comme ça,
Sans ajouter en plus un si grand échalas.
ROSIE (S’entêtant)
Au conseil du palais, je viendrai en sabots
Que cela plaise ou non à ces affreux nabots.
LA GRANDE OURSE
Reprenons nos esprits. Il se fait vraiment tard.
Nous devons reposer.
FIFI (A Cunégonde, montrant Rosie)
Faites taire ce gros lard.
CUNEGONDE
Son altesse a raison. Allons tous nous coucher
Car il faudra demain très tôt se réveiller.
Nous devons tous ensemble un bon plan mettre en place
Afin de dérouter une sœur si coriace.
(La Grande Ourse se lève et sort majestueusement, suivie de Cunégonde et de sa bande.)
(A suivre)