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Dans la famille des Grands Reporters, je demande : Albert Londres
Publié le 07 septembre 2008 par Lisou
Comme Alexandra David-Néel, le nom d’Albert Londres provoque chez nous une résonnance particulière, voire une dimension mythique.
Comme elle, il porte un nom chantant, un nom de ville qui est déjà une invitation au voyage.
Par contre il a un avantage comparatif non négligeable dans la course à la postérité : sa fille Florise a créé en 1933 un prix qui récompense chaque année les meilleurs journalistes francophones, un prix qui porte son nom et lui a permis de garder son actualité.
Mais au-delà d’un prix sur un trophée, qui était Albert Londres et que lui doit-on dans le monde du voyage ?
Véritable modèle éthique du « professionnel de l'information » pour de nombreux journalistes français, on trouve en effet peu de faux pas dans sa carrière au cours de laquelle il a couvert un nombre d’évènements incroyables, que ce soit par leur importance ou par leur localisation. Au début du XXème siècle, il n’était pas aisé de pénétrer au cœur de l’Afrique, de couvrir la révolution chinoise ou d’intégrer la mafia argentine.
Mais revenons à ses débuts :
Né à Vichy en 1884, ça n’était pas très bien parti pour devenir la coqueluche des journaux français. L’ayant bien compris, il monte à Paris, renonce à ses ambitions poétiques et débute une carrière de journaliste parlementaire au Matin.
Très vite, la 1ère guerre mondiale sonne à la porte de l’Europe et notre jeune Albert devient correspondant de guerre et reporter pour le Petit Journal.
Aujourd’hui ça n’a l’air de rien, mais à l’époque, le Petit Journal c’était un peu l’audience cumulée de Libé, du Monde et du Figaro, autant dire du lourd !
De là, il va sillonner tous les fronts, et s’en sortir, ce qui témoigne d’une bonne étoile et d’un sacré culot à la fois.
Mais elle ne le protégera pas de tout car il se fera licencier sur ordre de Clémenceau lui-même pour avoir remis en cause le bien fondé des termes du traité de paix signé avec l’Italie.
Comme quoi les ordres venus du politique, ça ne date pas d’hier. Pas grave, il bossera pour l’Excelsior.
Pendant 10 ans, de 1920 à 1930, Albert Londres va publier de nombreux reportages qui lui apporteront la notoriété, et dont le fil rouge est l’attention qu’il porte aux conséquences du politique sur l’humain.
Ça commence par une longue enquête en URSS sur le régime bolchevik naissant et les souffrances du peuple russe, puis il part en Asie (le Japon, la folie de la Chine, les actions de Nehru et de Gandhi en Inde).
En 1923, il se rend en Guyane au bagne de Cayenne et décrit les horreurs et les absurdités de la captivité, voit des êtres humains dans les prisonniers, raconte l’évasion de Dieudonné.
Puis, journaliste au Petit Parisien, il dénonce les conditions de travail des ouvriers africains sur les voies ferrées au Sénégal et au Congo, où meurent des milliers d’hommes.
Il se rendra l’année suivante en Palestine et s’intéresse à la communauté juive alors que l’antisémitisme sévit en France et en Europe.
Dans un registre différent, mais qu’on peut juger toujours d’actualité, il s'intéresse au Tour de France et à son impitoyable exigence physique dans ce qu’il appelle le « tour de souffrance ».
Sa bonne étoile ayant manifestement des limites, Albert Londres mourra en 1931, dans l'incendie du Georges Philippar, le bateau qui le ramenait de Chine en France, et à vrai dire dans des conditions pas très nettes : il préparait un papier qui devait faire scandale et qui a brûlé avec lui.
Certes il l’avait également confié à un couple d’amis, mais pas de bol, ils sont aussi morts dans un accident d’avion. C’est fou ça.
Mais attention, pour emblématique qu’il soit, le personnage d’Albert Londres n’en est pas moins cerné par quelques zones d’ombres qui ont la bonté d’en faire un être humain et non un être de mythologie avec un nom si beau qu’on dirait un nom de scène.
Pour faire court, Albert Londres a quand même été agent de renseignement français, ce qui pour un journaliste peut faire un mélange explosif mais passons.
On lui reproche aussi une certaine théâtralité, mais cela ne l’a pas empêché de mettre sur la table des débats qui sans lui n’auraient pas eu droit de cité dans l’opinion.
Enfin, bien que témoignant tout au long de sa carrière sur des questions très proches des droits de l’homme, Albert Londres n’en était pas moins le correspondant d’une presse de son temps, à savoir conservatrice voire pire.
Allons des broutilles tout cela, qui dans l'histoire n'ont pas pesé lourd dans la légende tirée d'un parcours qui reste tout de même exemplaire en tant que journaliste, et impressionnant en tant que voyageur.
Albert Londres nous laisse donc ses livres, et quelques belles citations ultra connues mais toujours belles. Pour le plaisir, en voici trois :
- "J’ai voulu descendre dans les fosses où la société se débarrasse de ce qui la menace ou de ce qu’elle ne peut nourrir, regarder ce que personne ne veut plus regarder. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie."
-"Ma ligne, ma seule ligne, la ligne de chemin de fer."
-"Il n'existe que deux catégories d'hommes, ceux qui ont des valises et ceux qui possèdent des meubles."
Pour ceux qui veulent en savoir plus, à lire :
-soit ses ouvrages personnels
-soit le livre de Pierre Assouline : Albert Londres. Vie et mort d’un grand reporter 1884 – 1932, en poche.