Fétiches: entretien avec Rodrigo Fresán, lecteur

Publié le 29 mai 2008 par Fric Frac Club

Son Mantra avait connu un certain retentissement. En septembre prochain, Rodrigo Fresán revient grâce à Passage du Nord-Ouest avec La vitesse des choses. On en reparlera sans doute en temps et en heure. Avant d’être connu pour son travail d’écrivain, l’Argentin basé à Barcelone gagnait sa vie grâce au journalisme culturel. Aujourd’hui, il continue à mener cette activité en parallèle avec l’écriture de fiction et est devenu une des références du monde hispanique lorsqu’il s’agit, par exemple, de parler des grands écrivains américains. Il n’est pas inhabituel d’entendre un Espagnol dire que c'est à lui qu’il doit sa découverte de Pynchon ou Gaddis. Normal : il se définit en tant que fan et sa passion de la lecture couplée à son talent d’écriture forment un mariage plutôt efficace. Avant, peut-être, d’évoquer son travail d’écrivain, nous avons posé quelques questions à Rodrigo Fresán, lecteur.
On demande toujours – encore Oprah Winfrey à Cormac McCarthy récemment – si les écrivains ont toujours voulu être écrivains – question bateau s’il en est. As-tu toujours été un lecteur ?
Qui sait… La mémoire est souvent traître mais je me souviens en effet clairement de la sensation « différente » que j’ai eu à la lecture de deux livres qui, il me semble, marquèrent mon passage des lectures infantiles typiques vers les grands championnats ou vers un stade plus avancé du jeu de ma bibliothèque : Martin Eden de Jack London et David Copperfield de Charles Dickens (les deux ont pour « héros » des écrivains), ainsi que Dracula de Bram Stoker, où tout le monde passe son temps à écrire et lire et où le monstre, en réalité, apparaît très peu en personne et beaucoup dans leurs écrits.
A l’adolescence, on a souvent des lectures honteuses. Et toi ? As-tu des plaisirs coupables ?
Je ne dirai que deux mots : Herman Hesse. En ce qui concerne les plaisirs coupables, j’ai un grand intérêt pour la littérature d’assassins en série.
Et quelles sont les livres qui t’ont donné le goût des fictions littéraires ?

Beaucoup. Trop. Je me souviens de mon bonheur d’adolescent à la lecture de Aldous Huxley et de Salinger. Et la découverte de deux de mes fétiches littéraires : Kurt Vonnegut et John Cheever.
On parle toujours du boom. Aimes-tu ces auteurs ?
Le meilleur de tous, c’est probablement un auteur « latéral » au boom ; l’Uruguayen Juan Carlos Onetti. Ceci dit, je n’ai jamais pensé ni ne pense en terme de boom, post-boom ou boom-boom. Il me semble que c’est une étiquette utile pour les critiques et les universitaires mais qui n’a pas grand usage pour les lecteurs ou les écrivains.
A l’époque du boom se développait le postmodernisme américain, qui est aujourd’hui toujours moins lu. Pourquoi ?

Je suppose que ça arrive parce qu’il est plus facile de faire voler quelqu’un que de désarmer quelqu’un de façon originale et novatrice. Voler est quelque chose de surestimé, en ce qui me concerne.
Quelle relation as-tu avec les livres ?
Spirituellement parfaite et physiquement pathologique, je suppose. J’essaie de les garder dans un état neuf, comme s’ils n’avaient jamais été lus. Et c’est très compliqué maintenant que j’ai un fils d’un an et demi. Et, bien sûr, je n’ai aucun problème à acheter différentes éditions d’un même livre. J’ai justement acheté hier Middlemarch de George Eliot. J’en ai déjà quatre exemplaires différents.
Que lis-tu pour le moment?
Pour le moment, je lis plusieurs livres en même temps : Born standing up (les mémoires de Steve Martin), Then we came to the end de Joshua Ferris, je relis Chilly scenes of winter de Ann Beattie (un de mes romans fétiches, j’écrirai le prologue de l’édition espagnole), une anthologie de love stories éditée par Jeffrey Eugenides et le manuscrit des mémoires de J.G. Ballard.
Quel serait le canon littéraire de Rodrigo Fresán ?

A dire vrai, je déteste l’idée d’un canon parce que ça revient à affirmer qu’on a déjà lu tout ce qu’il y avait à lire et qu’on est parvenu à une sagesse absurde qui n’existe jamais. Il est physiquement et chronologiquement prouvé que nous n’arriverons jamais à lire au cours de notre vie tout ce qu’il faudrait que nous lisions. Point à la ligne.
Pourtant, à quarante-quatre ans, il y a certains auteurs qui me semblent inévitables : Cheever, Vonnegut, Proust, Vila-Matas, Bolaño, Dick, Fitzgerald, Denis Johnson, Tolstoï, James, George Eliot, Melville, Onetti, Nabokov… et ce n’est que la pointe de l’iceberg, j’en ai bien peur.
Dans Mantra tu imagines une sorte de canon de personnages de romans que tu transformes en catcheurs. Ils catchent bien ?
Je ne sais pas si tous les personnages de fiction feraient de bons catcheurs. Une chose est certaine : j’ai bien peur que les écrivains catchent toujours.
Pourrais-tu nous recommander un livre dont nous n’avons sans doute pas entendu parler ?
Plusieurs me viennent à l’esprit. Trop. Mais je vais me décider pour un vraiment difficile : Amazons : an intimate memoir by the first woman ever to play in the National Hockey League, de Cleo Birdwell. Pourquoi? Réponse simple et inattendue: parce que le véritable auteur du livre – qui est écrit sous un pseudonyme presque inviolable – n’est autre que Don DeLillo. J’ai réussi à trouver un exemplaire. Et j’ai réussi à le faire signer par DeLillo lors d’un voyage qu’il fit à Barcelone. Je suppose qu’il vaut un peu d’argent maintenant.
Tes livres ne sont jamais terminés: à chaque édition, sa révision. Et de par les nombreuses références culturelles qui y sont parsemées, ils ont un côté journal intime culturel entremêlé à la narration. Et je me demandais justement si cet aspect « jamais terminé » n’était pas dû à ce que ton expérience de lecteur, de cinéphile, de fan de musique était toujours « en court » - une telle activité ne finit jamais. Sur quelle révision travailles-tu maintenant ?

Pour le moment je suis en pleine correction d’un nouveau roman intitulé El fondo del cielo. Et j’ai écrit un nouveau récit pour l’édition française – à paraître en septembre – de La velocidad de las cosas. La nouvelle en question s’appelle La sustitucíon de los cuentos et est liée au classique de la science-fiction Invasion of the Body Snatchers. Pour ce qui est du reste, ma réponse se trouve – au mot près – dans ta question.
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De par la galaxie Fric-Frac, Rodrigo Fresán
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