(Saint-Moritz, 6 septembre 1935)
Balthus à Antoinette,
51 Hallerstrasse, Berne
to
Her Majesty the Queen,
My darling beloved little Queen,
C’était bien court, cette rencontre pour laquelle je vivais depuis tant de mois, que j’attendais depuis quelques semaines avec une impatience de plus en plus insupportable, et pourtant, Bébé, ma petite sœur chérie, à peine étais-tu près de moi qu’un immense apaisement recouvrait mon âme, que depuis des temps immémoriaux je retrouvais le repos de mon cœur !
Dis Bébé à présent plus rien ne nous séparera jamais, n’est-ce pas ? Oh j’aimerais tant te revoir avant de quitter ce pays, mais est-ce que cela sera possible. Je viens de recevoir ta lettre, mon amour, je ne sais pas si le monsieur de Monique se prêtera à venir te chercher. Enfin on verra bien, sinon j’aimerais inventer autre chose. Je suis désolé et furieux qu’on n’ait pas pu se voir mieux et se parler longuement, moi aussi j’avais tant de choses à te dire et à te demander. L’attitude de Robi m’a fait énormément de peine et j’avoue que je ne m’y attendais pas. Faut-il maintenant que je me méfie de celui que je croyais être mon meilleur ami et que j’aimais comme un frère ?! Ce sont surtout les arguments dont il se servait qui m’ont paru inconcevables dans sa bouche. Enfin, je ne veux pas m’attarder là-dessus.
Et toi, mon amour, jalouse !!! Ca c’est le comble, et de qui et de quoi je t’en prie ?? Est-ce que tu oublies tout à coup que pendant trois ans je me suis déchiré le cœur pour te retrouver que je n’ai fait que lutter, que bâtir pour toi ? Ô Bébé si je t’aime, et quel bonheur immense, quel soulagement, quelle paix de pouvoir te le dire librement !! Et de quel amour, mon amour, tu n’en soupçonnes même pas la profondeur, l’immensité ! Ô Bébé, vive Dieu, et bénissons le Ciel car nous approchons de la délivrance, soyons forts, soyons courageux, appuie-toi sur mon épaule et crois en ton King of Cats !
On va s’occuper de Londres tout de suite. J’en ai parlé à Madge Molyneux et à Mme Jouve qui vont faire tout leur possible. (Tu n’as pas honte, toi, the Queen of Cats, d’être jalouse de Madge, « ta » Madge ! Madge est une véritable amie, un être qui a beaucoup de grandeur et qui ferait tout pour moi et par conséquent pour toi.)― D’ailleurs ce ne sera pas tout à fait aussi facile que tu penses ― les gens ont tous réduit considérablement leur train de maison, surtout les gens de la Society ― d’autre part je m’adresserai, moi-même ou par Betty, à May Hutchinson, une dame du monde qui aime beaucoup les jeunes filles et qui en a souvent chez elle (je ne veux pas dire par là qu’elle est lesbienne) ― Et il y a encore les Courtauld qui sont des parents de Betty, des gens formidablement riches.( Il y a 3 frères, dont l’un est le fameux collectionneur de tableaux). Et puis aussi des parents de la princesse de Bassiano dont je ne me souviens plus du nom. Dans tout ça on trouvera bien quelque chose. Et en tout cas, sois tranquille, tu peux compter sur moi.
Ici, le temps est incertain et changeant mais en général assez beau, malheureusement je ne supporte plus les vacances, après dix jours d’oisiveté, je me sens anxieux, agité et inquiet. Et toi mon amour, évidemment tu ne retrouves plus rien maintenant à Berne, puisque tout est changé. Ah, le cher appartement, dire qu’il a disparu, ça me fend le cœur ! Mais il ne faut pas que tu aies le cafard maintenant que va commencer une nouvelle vie belle et pleine de richesses insoupçonnées ! Écris-moi vite, je ne sais pas jusqu’à quand je vais rester ici. Et n’oublie jamais que je t’aime, que je t’aime my darling, my adored and beloved little Queen.
Your
Ne laisse pas traîner mes lettres, n’est-ce pas ?
J’aimerais tant te revoir très vite.
Balthus, Correspondance amoureuse avec Antoinette de Watteville, 1928-1937, Buchet-Chastel, 2001, pp. 375-376-377.
BALTHUS
Balthus par Shinoyama Kishin
Source
Voir aussi :
- (sur Terres de femmes) 15 février 1961/Balthus, directeur de la Villa Médicis à Rome ;
- le site officiel de la Fondation Balthus ;
- une galerie Web de seize toiles de Balthus;
- (sur Terres de femmes) un article sur Le Rêve de Balthus de Nathalie Rheims.
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