J’avais de la peine à imaginer que les Français allaient se laisser rouler dans la farine avec une telle facilité. Certes, le sursaut a été tardif, mais il a eu lieu, et la situation parlementaire est finalement plus équilibrée dans notre nouvelle chambre que dans la précédente. 45 sièges passent de droite à gauche, ce qui va peut-être enlever un peu de leur triomphalisme aux fanatiques sarkoziens qui imaginaient déjà qu’ils allaient impunément façonner la société à leur image.
Car faire payer les petits contribuables et rien qu’eux pour « le social », ce n’est qu’un tour de passe-passe. Prendre l’argent aux bénéficiaires désignés pour le leur rendre ensuite à grand tapage médiatique, ça ne les enrichit pas ! Ce n’est pas en taxant les pauvres qu’on va améliorer leur sort !
Outre l’encouragement donné à la gauche pour entreprendre sa nécessaire reconstruction, ce retour de manivelle a apporté quelques points de détails assez savoureux : Notamment la défaite d’Alain Juppé, foudroyé sur ses terres et dans ses bottes par une candidate socialiste jusqu’ici inconnue. Avec Juppé, on n’est jamais déçu : allant ce matin inaugurer le salon Vinexpo, il s’en est pris aux journalistes accusés « d’avoir mal compris la TVA sociale ». Et répondant en guise d’adieu à ceux qui s’enquéraient de ses nouvelles :
"Comment voulez-vous que j'aille? Vous aimeriez bien que j'aille mal. Si je pouvais crever, vous seriez contents. Ca vous ferait plaisir que j'aille mal, ça vous exciterait". Je note que le « Si je pouvais crever, vous seriez contents » a été coupé de la séquence que j’ai pu voir à l’instant dans le 13 heures d’Antenne 2.
On accuse toujours les autres de ce qu’on ferait à leur place, et en vertu de ce solide principe hérité de ma grand’mère, j’en déduis que l’encore édile de Bordeaux ne serait pas atterré par l’extermination de quelques journalistes trop objectifs…
Et bonne nouvelle toujours la solution finale appliquée au front national, qui n’aura aucun député, et dont la dernière égérie clame que cet anéantissement est une situation propice pour démarrer la reconstruction de son parti. Pour une fois, on sera d’accord avec elle : on fait difficilement mieux comme retour case-départ, attendu que le score général du parti l’exclut des remboursements de campagne et essore sa trésorerie. Ayons une pensée émue pour le milliardaire Le Pen qui passait ce matin le chapeau à la radio et à la télévision pour renflouer les caisses de son parti. Combien y mettra-t-il de ses propres deniers ? Au coin de ma rue, un facétieux a tagué sur une affiche du front national : « la marine a fait naufrage ».
On déplorera pour la bonne marche des droits républicains réclamés par les gays français la fâcheuse réélection de Christine Boutin et de Christian Vanneste, choyés par l’UMP comme des asticots auxquels les intégristes et autres moyenâgeux inquisiteurs sont supposés mordre. Cela entre sans doute dans le programme de protection des espèces en voie de disparition ? Chacun son écologie.
L’état de grâce n’aura pas duré longtemps. Et cela permet de constater un changement de comportement de Nicolas Sarkozy. Il y a encore trois semaines, ses sectateurs l’admiraient en expliquant que contrairement à ses prédécesseurs, il prenait des risques politiques et allait lui-même au charbon sans considérer son premier ministre comme un fusible. (Ce qui est, soit dit en passant, contraire aux règles de la république qui veut que le président soit au-dessus des partis, et délègue précisément à son premier ministre le rôle de chef du gouvernement).
Car je crois que les Français et leurs journalistes en général ont parfaitement compris : ils veulent bien qu’on augmente les impôts, mais à condition que ce soient les riches qui les paient, ce qui me semble une saine et républicaine justice.
Nous voilà dont de part et d’autre dans un grand chantier. Car au PS aussi, il y a du boulot ! On dit déjà que le périmètre de la Présidence de la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale que l’UMP s’apprêterait à confier à l’opposition aurait été réduit au point de vider de leur sens les attributions de ladite commission. A regarder de près. Si le langage démagogique n’est plus de mise pour les généralités, il va maintenant s’appliquer à chaque détail. Il va falloir éplucher. La pince à épiler va remplacer le karcher.
Il va aussi falloir bronzer sans s’endormir : c’est au cours d’une session spéciale qui siègera cet été pendant que les Français sont à la plage que le gouvernement va essayer de faire passer le plus impopulaire des mesures qu’il a concoctées. L’urgence prétextée est en réalité un besoin impérieux de se soustraire à une actualité quotidienne. Vigilance !
Et il faudra aussi, sans s’être endormi pendant la bronzette, se retrouver tout gaillard pour une rentrée qui promet d’être chaude. Le sursaut qui vient de réveiller la gauche augure d’une réactivité dont nous aurons besoin pour ne pas se faire dévorer tout cru par le Shrek néolibéral.