Je savais depuis un certain temps que l’établissement où je sévis était un peu spécial, mais je ne m’étais pas encore rendu compte à quel point, finalement, il avait de l’importance. Heureusement que certaines personnes sont là pour m’ouvrir les yeux et guérir une cécité que je traîne depuis…. années.
La grandiose réflexion philosophique et métaphysique qui va suivre a pour origine une petite anecdote que je vais me faire le plaisir de vous narrer.
Personnages principaux : Endive et votre serviteur. (Pour ceux qui ignorent qui est Endive, cliquez sur son nom, vous n’allez pas être déçus.) Donc, notre blafard bronzé Endive est assis à son bureau (non, il n’y a pas d’erreur d’accord grammatical, Endive est un homme) et parle au téléphone. Vu sa tête et le peu de mots que je saisis, il s’agit d’une communication privée. Comme j’estime ne pas avoir de temps à perdre, je lui tends le précieux papier que je voulais lui remettre en lui disant : « C’est pour M. Machin. » Endive la tête, courroucé : « Je suis au téléphone », dit-il, pompeux. Réponse : « Oui, j’ai vu, merci. » Et je tourne les talons. (Bon, vous me direz : c’est un peu cavalier, mais que voulez-vous, sa seule vue a le don de m’exaspérer.) Mais avant que je sorte, une autre secrétaire me fait remarquer que je dois déposer quelques petits coupons signés de ma patte dans les cartons prévus à cet effet. Coupons de quoi ?
1) Reconnaissant et certifiant avoir lu le règlement intérieur et jurant de m’y conformer ;
2) Reconnaissant et certifiant avoir lu les consignes de sécurité et jurant de m’y conformer, à savoir éviter de laisser cramer les élèves en cas d’incendie ;
3) Reconnaissant et certifiant avoir lu la charte informatique et jurant de m’y conformer, à savoir ne pas aller sur des sites pornos ou autres sites dégradants n’ayant rien à voir avec l’Educ’Nat.
C’est tout.
Comme tout cela n’en est encore à m’apparaître que comme une grosse niaiserie, je fais l’âne et prétends avoir perdu ces documents et, par ailleurs, m’en foutre complètement. (Dernière affirmation = vérité.)
A peine rendu dans la Salle des Urnes Funéraires, j’entends un bruit de cavalerie déchaînée derrière moi : c’est Endive, ayant interrompu sa pas-sion-nante conversation pour venir me sermonner et me faire remarquer que si je ne signe pas ces papiers, on va me retirer le droit d’aller sur Internet, je n’aurai plus de code, et patati et patata. Vous pensez bien que ces mesures de rétorsion m’affolent : je m’écroule en pleurant sur une table et affirme que je ne saurai vivre sans mon code et ma connexion professionnelle à Internet. Que c’est d’une cruauté inouïe. Et que je tremble de tous mes membres.
Endive s’en va. Comme il a constamment son sourire niais aux babines, impossible de savoir s’il a compris ou pas ce qui relève d’une vague moquerie.
Et puis tout à coup, révélation : ce que je considérais comme une plaisanterie n’en est finalement pas une. Parce que me demander de signer ce genre de papier relève très exactement de l’insulte, et je pèse mes mots. Oui, c’est une exigence insultante. En un mot, bonjour la confiance, (je suis très capable, pense-t-on, de faire de vilaines choses) et surtout, bonjour l’infantilisation et la menace du gendarme.
Et quand je vois ces fameux cartons remplis de coupons signés par mes collègues, j’avoue que je frémis un peu…
Conséquence normale de cette illumination : je ne signerai pas ces papiers. Je sais qu’Endive va me courir après toute l’année, mais je cours plus vite que lui. Je sais aussi que je vais m’exposer aux foudres directoriales : j’en serai quitte pour mettre des chaussures à semelle de caoutchouc pour éviter l’électrocution.
Mais que la Direction ne s’effraie pas : même si je ne signe pas, il y aura toujours de bonnes âmes pour aller dénoncer la moindre entorse aux susdits règlements. Et je sais de quoi je parle…
Cela dit, franchement, je pense que ce flicage est très incomplet. Donnons quelques idées :
- Je certifie et jure de ne pas être pédophile ;
- Je certifie et jure de ne jamais violer d’élèves ;
- Je certifie et jure de ne jamais piquer de portable ou de MP3 aux étudiants ;
- Je certifie et jure de ne jamais enfermer les élèves dans une salle et les laisser rôtir si un feu se déclare ;
- Je certifie et jure de ne jamais leur mettre de mauvaises notes, même s’ils me rendent des devoirs affligeants ;
- Je certifie et jure d’avoir à leur égard une attitude positive et non négative. (Un peu vague, mais c’est pas grave.)
- Je certifie ce que vous voulez. Ca vous va, comme ça ?
Oh là là, je sens que je suis en train de commettre la trahison suprême : je manque de loyauté envers l’Institution, envers l’Etablissement, envers mes chefs et envers les poubelles de la salle des Urnes Funéraires. Ah oui, c’est vrai, vous ne pouvez pas savoir : il parait que je n’ai plus le droit de dire du mal de mon Etablissement. Où va se nicher la censure, je vous le demande… Finalement, on a bien raison d’exiger de moi que je signe ces papiers. Vous vous rendez compte : je tape à tout va sur la maison et à force, évidemment, je vais ramasser une tuile sur la gueule.
Quand je serai au chômage (ou en prison, ou ruiné) pour indiscipline, insubordination ET manque de loyauté, vous penserez à moi, dites ?...