Le jeu en ligne peut créer une économie et, à terme, une utilisation du Web nouvelles.
par Grégory Kapustin créateur de la webradio Radiodela méduse.org, étudiant à l’Institut des médias de Paris.
tags : univers persistants , communauté , économie , second life , avatar
L’application « client » de Second Life, l’univers en ligne persistant que les personnages créent eux-mêmes, vient d’être déposée en licence libre par ses créateurs, la société LindenLab. Sous ces termes barbares, c’est un premier pas qui peut, à terme, mener Second Life d’un univers clos, et surtout d’un jeu, à un « standard » du Web. Du même coup, il peut aussi mener à une nouvelle économie : celle où vous achetez un produit virtuel, fait par une vraie personne, pour votre personnage ou votre maison virtuels, qui est aussi votre boutique virtuelle mais qui constitue votre vrai revenu... Si l’on ne s’y perd pas, on peut apercevoir la révolution qui est en marche. Il ne manque plus à LindenLab que de libérer aussi l’application « serveur » (qui sert à centraliser les données) pour que Second Life se développe de lui-même, de la même manière que le Net s’est construit. Si tout est open source, libre de droits, alors le « standard » se répand. Comme une toile d’araignée...
Rappel : Second Life, monde virtuel persistant en trois dimensions, est un jeu grâce auquel trois millions d’êtres de chair dirigent, du bout de la souris, un personnage virtuel (« avatar ») et le faisant devenir un entrepreneur, dirigeant de supermarché, designer, peintre ou star du X.
Il ne s’agit pas d’un jeu de rôle, où l’objectif est de tuer le plus d’ogres en dix minutes. Ici, il n’y a qu’un terrain, plat, et la possibilité de créer tout et n’importe quoi, de le vendre ou de l’offrir. En décembre, on y a échangé une trentaine de millions de vrais dollars. C’est un des chiffres effarants de Second Life : à partir du moment où chacun peut créer des objets, maisons, terrains, vêtements, on les achète ou on les donne. Avec du vrai argent. Mais tout cela n’est que le début. Second Life n’est pas voué à rester un jeu, un monde parallèle ; il est voué à être votre prochaine manière d’utiliser l’Internet. Si jamais Second Life devenait ce qu’il peut devenir (le nouveau standard du Web), l’entité invisible qu’est l’internaute deviendrait un personnage (« avatar ») en trois dimensions ; et, au lieu de visiter des pages en tapant leur adresse URL, il naviguerait géographiquement dans un monde virtuel, chaque site web étant devenu une maison, un immeuble, un café, un supermarché, une galerie, selon l’utilité visée.
Ne nous y trompons pas : le fait est que ce mode de navigation réunit tous les outils que le Web utilise et offre actuellement : communication directe (la messagerie instantanée, qui devient en 3D plus ludique et plus ouverte à la rencontre), information (chaque maison abrite des documents, comme sur un site web), et tout autre service que le Web offre aujourd’hui, commerce compris. Bien sûr, on peut se téléporter à un endroit en tapant une adresse simple, on ne perdrait donc pas en rapidité.
La navigation serait aussi révolutionnée d’une autre manière : des personnes présentes sur le même site se « verraient » et pourraient directement réagir à une info , comme si une fenêtre de tchat, ou un forum, était instantanément inscrite sur chaque endroit du Web. Outre le fait de ne plus être une entité invisible, l’internaute ne serait plus une entité anonyme : comme cela se fait avec certaines applications, chaque internaute serait localisé, et son chemin tracé... pour le meilleur (ses amis) et pour le pire (des institutions malveillantes). Mais tout ceci ne tient peut-être que du gadget comparé au reste.
L’économie nouvellement créée par Second Life est une révolution. Même si les plus frileux ont été apeurés par l’apparition de l’Internet, il n’en a pas moins toujours été qu’un outil de communication et de transaction ; vous accédez plus vite à une information, vous achetez des chaussures que l’on vous envoie par la poste, vous discutez avec des amis comme au téléphone, vous envoyez des e-mails comme des lettres, en plus rapide. Tout ceci était vrai... jusqu’à l’apparition des mondes virtuels persistants. De plus, rappelez-vous que votre maison virtuelle serait votre site commercial, votre site personnel, votre blog, et, de plus, un lieu où vos amis, clients ou inconnus, pourraient venir vous voir, discuter ou échanger des objets. C’est exactement ce qui se passe dans Second Life : les gens arrivent chez vous, car ils vous connaissent, ou que vous avez une vitrine avec de beaux objets en vente, ou qu’une enseigne lumineuse annonce que vous êtes designer ! Ils sonnent à la porte, discutent, commercent. Nombreux sont ceux qui ont un travail, un magasin ; nombreux sont ceux qui en cherchent un.
Du point de vue commercial, les objets, à vendre, acheter ou donner, copier, etc., sont ainsi de trois sortes. Ils peuvent agrémenter sa demeure, ce qui revient à agrémenter son site web : l’achat d’un tableau fait par un internaute équivaut à acheter une image à une personne pour la mettre sur son site. Acheter des coiffures ou vêtements vise à agrémenter son avatar, une chose qui n’est que ludique. Enfin, et là est la plus grande nouveauté, la dernière sorte d’achat : jouir d’un service virtuel. Nombreux sont les personnages qui, dans Second Life, s’offrent, par exemple, les services d’une geisha pour la soirée. Et ce qui est important dans Second Life, c’est qu’il n’y a pas de « bot », de faux personnages générés par le programme ; ainsi, les services virtuels sont exécutés obligatoirement par des personnages incarnant de vraies personnes. Et pour de vrais dollars. C’est ainsi qu’une nouvelle économie se crée...
Nous ne parlons pas ici du Web 2.0, qui ne sera qu’un gadget par rapport à ce qui se prépare, et qui est déjà en marche. Trente millions de dollars ont été échangés en décembre dans Second Life par ses trois millions d’utilisateurs ; et ce, dans une monnaie, le « L$ », Linden Dollar, qui va inévitablement avoir un cours international qu’il ne faudra, à terme, pas négliger. Et ceci alors que l’univers est toujours clos, tous les serveurs étant gérés par LindenLab, puisque le logiciel « serveur » n’est pas encore libéré. Lorsqu’il le sera, la propagation de ce nouveau standard sera comparable à celle du Web. Le côté ludique de la 3D, l’individualité que proposent l’avatar et la maison personnels, la facilité que la proximité en 3D procure pour discuter et rencontrer des gens feront que, rapidement, l’Internet deviendra ainsi.
Tous les bons et mauvais points sociologiques et psychologiques de cette évolution de l’internaute, de nos rapports aux autres, au réel, à la propriété et au travail restent à observer. Mais ne nous y trompons pas. Second Life n’est pas un jeu ; il n’est pas étonnant par les excentricités de ses utilisateurs actuels ; il n’est pas déstabilisant par sa taille démographique et financière ; il l’est par les révolutions qu’il peut créer sur l’Internet et l’économie
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