Charlie Hebdo : satyrique ou ça tire à vue ? Depuis quelques jours, le PAF et la blogosphère ne parlent (presque) que de ça.
Philippe Val, patron de Charlie Hebdo, vire Siné, accusé de dérapage antisémite.
Siné aligne une pétition de 2.000 signatures et un bel article de Jean-Marie Laclavetine dans Le Monde, Val affiche une longue tribune de BHL et une plaidoirie signée de quelques poids lourds médiatico-politiques (dontAlexandre Adler, Elisabeth et Robert Badinter, Pascal Bruckner, Daniel Leconte, Pierre Lescure ou Fred Vargas), publiées elles aussi dans Le Monde.
Ces derniers rappellent dans leur article les précédents dérapages du célèbre dessinateur. Des mots en effet choquants, comme cette ahurissante déclaration quelques jours après l’attentat de la rue des Rosiers en 1982 « “Je suis antisémite et je n’ai plus peur de l’avouer, je vais faire dorénavant des croix gammées sur tous les murs… je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s’il est pro palestinien. Qu’ils meurent !». La défense de la cause Palestinienne ne justifie pas tout… (même s’il s’est excusé pour cela).
Le problème est que ce n’est pas pour ces propos nauséabonds que Siné se serait fait virer « sine die » 26 ans après les avoir tenus. On le cloue au pilori (j’aurais pu dire « on le crucifie », mais c’eut été de mauvais goût ; ceci étant, imaginez ce qu’aurait été l’emblème du Christianisme si Jésus avait été empalé…) pour ces phrases : «Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général de l’UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le Parquet a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe ! Ce n’est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit !»
Pas de quoi fouetter un chat, même un chat-ron ou un chat-bat. Pas forcément pire en tout cas que cet article paru dans Libé le 16 juin dernier, qui n’a soulevé aucune polémique (à ma connaissance) : « Jean Sarkozy, fils cadet du président de la République, n’arrête pas. Des fiançailles, et une prise de pouvoir au sein du groupe UMP des Hauts-de-Seine en un week-end. Ça fait beaucoup pour un jeune homme de 21 ans, même fils d’un président. Côté fiançailles, c’est avec Jessica Sebaoun. La jeune fille est héritière de la famille Darty, propriétaire de la chaîne de magasins d’électroménager du même nom. Hôtel particulier, diamant de chez Tiffany… rien n’est trop beau pour elle et pour célébrer leurs fiançailles. »
Bon, ok, l’article ne parle pas de « fiancée juive » mais bon, Sebaoun, ça sent plus le « gefilte fish » ou le « msoki » que la « moule frite » ou la « garbure »…
J’ai connu Fred Vargas (à propos de Battisti) et Robert Badinter (à propos de la récente révision constitutionnelle) plus inspirés : quand ils titrent leur tribune « Pour Philippe Val, Charlie Hebdo et quelques principes » et qu’ils décrivent Val comme « le démocrate, le défenseur et le garant des principes », savent-ils qu’en 2000, la Val-Star se faisait mousser en préfaçant un livre de Siné en ces termes : « Un conseil aux anti-Siné qui voudraient le rester : n’ouvrez pas ce livre. C’est marrant, enthousiaste, communicatif, et dans cinq minutes, vous allez dire : “Je rêve ou quoi ? Mais je l’aime ce mec.”» ; savent-ils qu’en réponse à une question de Libé pour un article sur Siné paru le 30 juillet il déclarait, plus Caliméro que jamais : «Rendez-vous compte, pas un journaliste non juif qui me soutient.»(dis-moi mon Philou, je les reconnais à quoi les journalistes juifs : ils ont une étoile jaune sur leur carte de presse ?) ; savent-ils qu’en 2006, Philippe Val, le chef d’entreprise, a distribué en dividendes 85% des bénéfices de Charlie Hebdo (près d’un million d’euros cette année-là !!!), ce qu’aucun parton du CAC 40 n’ose faire… (au passage donc, Val aura empoché la bagatelle de 330.000 euros… de quoi se payer quelques lave-vaisselle chez Darty…).Et cet article de Siné justifie-t-il la diarrhée de BHL publiée le 21 juillet dans Le Monde ? J’écris « diarrhée » car près de 1.600 mots, ça commence à faire…
Quand le Prince de Tanger écrit d’un côté qu’il faut « critiquer les dogmes, pas les personnes » et quelques lignes plus loin il décrit Siné comme « un vieil humoriste, qui, en effet, ne sait sans doute pas vraiment ce qu’il dit », quel crédibilité ?
Quand l’héritier de la BECOB (l’Entreprise de son père André Lévy, gros exploiteur de la forêt africaine et de ceux qui en vivent, qu’il a piloté pendant des années, voir le livre « Une imposture française » de Nicolas Beau et Olivier Toscer) écrit « L’antisémitisme - comme, naturellement, le racisme - est un délit qui ne souffre ni circonstances atténuantes ni excuses », il est bien clair que cette mise entre tirets n’est pas qu’une figure de style : il marque une distinction, presque subliminale, entre antisémitisme et racisme, le premier restant plus grave à ses yeux que le second, ce que j’ai toujours considéré comme nauséabond.
Quand le pathétique réalisateur de « le Jour et la Nuit » en 1997 (dont le scénariste était… Jean-Paul Enthoven, ex- de Carla Bruni, qui l’a plaqué pour coucher avec son fils, Raphaël Enthoven, qui était marié à l’époque avec la fille de BHL !) déclare « ainsi pensent aujourd’hui, non seulement les “amis” de Siné pétitionnant à tour de bras en sa faveur, mais tous ceux qui, sous prétexte que le Rastignac qu’il avait en ligne de mire était le propre fils du Président honni, sont comme tétanisés et interdits d’indignation - vieux reste d’antidreyfusisme », il assimile toute critique envers Nabot-léon et envers l’Aiglon de Neuilly à de l’antidreyfusisme, ce qui est un rapprochement ahurissant historiquement et politiquement et qui doit faire se retourner dans leurs tombes respectives Dreyfus himself et Zola !
Il est clair que ces arguments de BHV montrent à quel point BHL, comme Val, veulent monter en Chantilly ce qui relève plutôt de la crème fouettée.Leurs grands cris d’orfraie n’effrayent plus personne, et leurs gesticulations philosophico-moralisatrices trahissent leurs propres abimes intérieurs et leurs propres fêlures. Siné est peut-être un vieux con, mais il ne mérite pas tout ça.
Je ne peux m’empêcher de penser que s’il n’avait pas été question de l’Aiglon, les surinterprétations auraient été moins nombreuses. La France semble progressivement s’enfoncer dans une période post-anti-sarkozyste, ou toutes les outrances, tous les dérapages, toutes les grossièretés du Président et de sa clique (pour ne pas dire son clan) finissent par être subies sans rechigner. Comme le dénonce fort justement Jean-Marie Laclavetine dans Le Monde du 31 juillet : « On ne respire plus, dans ce pays. La France pète de trouille, et ça ne sent pas bon. La poltronnerie de la plupart favorise l’autoritarisme de quelques-uns. Toute pensée, toute parole libres sont immédiatement soumises à un feu roulant d’intimidations, de condamnations ronflantes et sans appel. »
La France est un Etat laïque, et la laïcité est la seule protection durable pour les individus et les religions. Cela veut dire que chaque citoyen est défini non pas par sa religion, son origine ou sa préférence sexuelle, mais par le fait qu’il détienne une pièce nationale d’identité, qui lui fixe des droits et des devoirs. S’intéresser aux religions est un devoir, car elles conditionnent une part importante de notre vie pratique et spirituelle. Mais la clairvoyance voudrait qu’on leur voue un équitable intérêt ou un équitable mépris. Val voudrait pouvoir publier les caricatures de Mahomet et interdire les blagues « limite » de Siné. BHL veut pouvoir défendre l’anti-islamisme de Salman Rushdie et interdire toute critique des agissements de Tsahal dans les territoires occupés.
Siné tape peut-être fort sur la tête des Juifs, mais il cogne aussi les Cathos et les Musulmans. Et quand il cogne les Juifs, les Cathos et les Musulmans, il ne cogne pas vraiment les individus qui pratiquent ces religions, mais plutôt les clergés de ces religions qui n’ont de cesse que de dresser des hommes contre des hommes au nom d’une puissance soit disant supérieure et soit disant bienveillante. Val et Charlie Hebdo ont bien souvent tourné en dérision le Pape, Mahommet ou la Reine d’Angleterre. BHL a-t-il alors sorti sa plume pour commenter ces traits d’humour ?
En Sarkosie, on préfère Bigard à Siné, Bruni à Brassens, Musso à la Princesse de Clève, les Curés aux Instituteurs, le Latran au Panthéon. On a le droit de s’en émouvoir. On a le droit d’en gerber. On a le droit d’en déraper.