Magazine Culture
La revue Les Dossiers d'Archéologie (Editions Faton) vient de faire paraître (n° 329, sept.-oct. 2008) un numéro consacré aux sites princiers celtiques de France et d'Allemagne. On sait qu'à partir de la fin du VIème av. J.-C. (fin du Hallstatt), l'Europe intérieure, soit le monde celtique, se structure en sociétés fortement hiérarchisées, dominées par une aristocratie militaire très puissante, construisant palais (Mont Lassois), forteresses, sanctuaires (Glauberg), commerçant avec le monde méditerranéen et notamment avec les cités étrusques d'Italie ; une aristocratie dont la prospérité et la culture se reflète dans ces sépultures que les archéologues ont depuis longtemps appelé "princières", pour rendre compte de leur richesse (Vix, Glauberg). A la fin du Vème siècle et au début du IVème, soit au début de l'époque dite de La Tène, ces sociétés très hiérarchisées laissent la place à des communautés plus homogènes, comptant une importante classe moyenne de paysans-guerriers, dont la manifestation la plus visible fut cette formidable expansion vers les domaines italique et danubien.
C'est donc l'histoire de ce Vème siècle celte, cette période charnière si fondamentale pour la civilisation européenne, que propose d'analyser la série d'études publiée dans les Dossiers. Comme souvent, des articles de grande qualité, écrits par les meilleurs spécialistes français et allemands de la question : O. Buchsenschutz, O.-H.Frey, Chr. Peyre, F.-R. Herrmann, I. Ralston, St. Verger, ainsi que toute l'équipe franco-austro-allemande qui travaille sur le Mont Lassois, dirigée par B. Chaume et Cl. Mordant.Une synthèse pointue, indispensable pour les passionnés du monde celte.A. P.
Sommaire et résumésOlivier BUCHSENSCHUTZ, Archéologie des Celtes au Ve siècleLe Ve s. av. J.-C. est une période charnière en Europe tempérée. Les chercheurs ont toujours hésité entre la classer dans la culture de Hallstatt ou dans celle de La Tène, parce qu’à cette époque, tradition et innovation se juxtaposent dans des milliers de sépultures et d’habitats. On a dit longtemps que le monde des riches complexes princiers, fondé sur une hiérarchie de familles aristocratiques, s’écroulait parce que la concentration du pouvoir était trop forte et trop dépendante des relations avec le monde méditerranéen. ..Otto-Herman FREY, Qui étaient les Celtes ? Les Celtes, dont le territoire couvrait une grande partie de l'Europe occidentale et centrale, de l'Irlande à la chaîne des Carpates, et de la Belgique à la pointe sud de l'Espagne, étaient à la fois craints et respectés par leurs adversaires, qu'ils soient grecs ou romains. Ils ont laissé une profonde empreinte dans la mémoire collective européenne, et les études récentes ainsi que les toutes dernières découvertes ne cessent de faire chaque jour mieux connaître leur mode de vie, leurs croyances et leurs faits d'armes. ..Christian PEYRE, La société celtique au début du IVe s. av. J.-C. et un passage controversé de Polybe (II, 17, 9)Au Livre II de ses Histoires, Polybe consacre un long développement aux invasions gauloises en Italie et aux guerres acharnées au terme desquelles, dans les premières décennies du iie s. av. J.-C., les Romains finirent par soumettre tous les peuples établis dans la plaine du Pô (II, 17 à 35). Dans le premier de ces chapitres, une courte phrase traite de l'habitat des Gaulois immigrés au moment de leur installation, dans la première moitié du ive siècle. Les acquis récents de l'archéologie celtique transalpine permettent d'apprécier l'intérêt de ce témoignage, qui par ailleurs, en raison des difficultés inhérentes à la langue de Polybe, a suscité diverses interprétations...Fritz-Rudolf HERRMANN, Le Glauberg, résidence princière, tombes princières et sanctuaire Si aujourd’hui le Glauberg est considéré comme un centre important du monde celte du Ve s. av. J.-C., cela tient tout d’abord aux recherches de la dernière décennie, même s'il y a cent ans déjà qu’une découverte fortuite, effectuée lors de travaux de remembrement, avait permis de mettre en relation les puissantes fortifications qui entouraient le mont avec les Celtes. La mise au jour d’une architecture funéraire imposante, de sépultures au mobilier somptueux et d’exceptionnelles statues en pierre, témoignent de la richesse des aristocrates de cette époque. ..
Otto-Herman FREY, Les tombes princières du Glauberg Les deux buttes au pied du Glauberg cachaient trois tombes masculines que leur riche mobilier place dans la catégorie des tombes princières. Les défunts avaient été déposés dans des coffres en bois, costumés et parés, accompagnés de leurs armes et de cruches en bronze. On a pu ainsi en savoir un peu plus sur les pratiques funéraires des Celtes et l'idée qu'ils se faisaient de l'au-delà. ..Otto-Herman FREY, Le premier art celtique. Dieux et démons La fascination qu'exerce l'art celtique tient d'une part à l'élégance et au pouvoir expressif des formes (comme celles de la fine œnochoé de la tombe 1 du Glauberg), dont la parenté avec les proportions harmonieuses des modèles méditerranéens est claire, et d'autre part à la richesse du décor. Ce sont des motifs tirés de l'ornementation végétale antique, mais aussi, et avant tout, des interprétations figurées qui font l'attrait de ces œuvres et invitent à s'interroger sur leur signification. On peut essayer d'apporter quelques réponses sur un tel sujet, car ces représentations dans les arts mineurs des premiers Celtes ont été à peine étudiées jusqu’à présent...
Otto-Herman FREY, Les statues du Glauberg, hommes ou héros ? La plus grande surprise apportée par les fouilles du Glauberg a été la découverte de statues de pierre. Nous connaissons très peu de documents comparables. De telles œuvres n'étaient pas profondément enfouies dans le sol comme des compléments du mobilier funéraire : elles avaient de tout temps été exposées à la destruction par l'homme. Souvent, on les mettait à l'écart parce qu'elles gênaient les travaux agricoles comme le font de grands blocs de pierre, ou bien, passant pour des “idoles païennes”, elles étaient la cible de tous les outrages. Mais quelle était leur fonction ? Quels liens avaient-elles avec les princes de la société hallstattienne ? Quelles influences les cultures méditerranéennes ont-elles exercées sur les peuples du nord des Alpes pour qu'ils nous aient laissé de telles œuvres ? ..Ian RALSTON, Bourges avant AvaricumCélèbre pour son siège pendant la guerre des Gaules, qui a été décrit de manière assez détaillée par César, Bourges a été également un habitat important à la transition du premier au deuxième âge du Fer. Le réexamen des fouilles anciennes et les progrès des fouilles en cours, dans le centre comme dans la périphérie, révèlent la présence d’un habitat complexe et étendu qui a atteint son apogée au Ve s. av. J.-C...Alfred HAFFNER et le PCR de Vix, La résidence princière celtique du mont Lassois près de VixLe mont Lassois est situé sur le cours supérieur de la Seine, dans le Châtillonnais, en Bourgogne. Il est l’un des gisements archéologiques les plus remarquables de la culture des Celtes anciens en Europe. Peu de temps après 500 av. J.-C., fut ensevelie au pied de la montagne, sous un tumulus monumental, une femme de 35 à 40 ans qui, après la découverte de sa tombe en 1953, devint célèbre, au-delà du cercle des archéologues, sous le nom de “la Dame de Vix”. Aujourd'hui, l'étude des puissantes fortifications et la découverte d'un bâtiment à abside exceptionnel pour l'époque relancent le débat sur la nature exacte des vestiges du mont Lassois et sur ses habitants. ..Stéphane VERGER, Les tombes aristocratiques en Gaule centrale et orientale après Vix La tombe de Vix fait partie d’un petit groupe de sépultures à char hallstattiennes dans lesquelles le défunt est accompagné d’un véhicule à quatre roues. Cet usage funéraire originaire d’Allemagne du Sud est adopté dans la seconde moitié du vie siècle par certains milieux aristocratiques occidentaux, en Franche-Comté, en Bourgogne et jusque dans le Poitou. Il est abandonné, en France comme ailleurs, dans la première moitié du ve siècle. Mais la disparition des tombes à char hallstattiennes ne marque pas celle des sépultures aristocratiques.