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Qimmik

Publié le 14 avril 2025 par Adtraviata
Qimmik

Présentation de l’éditeur :

Dans les années 1960, un jeune couple inuit, accompagné de ses chiens, les qimmiit, parcourt un territoire encore sauvage. Leur quotidien est fait de chasse, de pêche, de dangers et de moments de plénitude. Ils sont heureux et libres. Pendant ce temps, plus au sud, les autorités obligent les Inuit à se sédentariser.

Quelques décennies plus tard, Ève, une jeune avocate québécoise, est chargée de défendre un vieil Inuk accusé d’avoir assassiné
de paisibles retraités. Ève peine à comprendre cette folie meurtrière. Cela a-t-il un lien avec le fait que les victimes sont d’anciens policiers, autrefois en poste dans le Grand Nord ? Son enquête la mènera plus loin que tout ce qu’elle avait imaginé.

Alors que j’ai d’autres romans de Michel Jean dans ma très grosse PAL, j’ai accepté de recevoir celui-ci grâce à Babelio et aux éditions du Seuil que je remercie grandement. Quelle joie de découvrir cette plume et cet univers ! (Je sais, je me répète de billet en billet, en ce moment je suis très « plume » et très « univers ».)

Nous suivons en parallèle un jeune couple innu, Saullu, séduite par la douceur d’Ulaajuk, qui vient vendre ses peaux de renard blanc dans le village autochtone de Kuujjuaraapik, et Eve, avocate d’un grand cabinet de Montréal, adoptée quand elle était bébé. (Soyons précis, voici la bonne orthographe donnée page 36 : « On dit « un Inuk », « deux Inuuk ». « Inuit » c’est le pluriel pour trois et plus. Sans s. »)

Dans les années 60-70, le jeune couple décide de vivre sa vie loin du village, en traçant sa route à l’intérieur des terres, chassant et pêchant ce qui leur est nécessaire pour vivre. La vie est rude au Nunavik mais leur amour, leur harmonie avec la nature nourricière, et surtout l’aide de leurs chiens de traîneau, les qimmiit, leur permet de vivre et de survivre aux longs hivers. Les qimmiit sont une race de chiens nordiques, considérés comme des compagnons indispensables du peuple inuit, grâce à leur flair, leur endurance, leur courage inébranlable. Saullu a d’ailleurs été séduite par Ulaajuk notamment parce qu’il prenait grand soin de ses chiens et les traitait avec amour. « Le chien nordique canadien est arrivé en Amérique avec le peuple Thulé, ancêtre des Inuit. Comme le husky en Sibérie, le malamute en Alaska, le chien du Groenland dans la grande île de glace ou le samoyède en Sibérie, les qimmiit étaient des compagnons de travail, des alliés. Ils étaient traités avec respect, au même titre qu’un humain. » nous explique Michel Jean à la fin du livre.

Des décennies plus tard, Eve, jeune avocate douée, dédiée à des causes difficiles par ses patrons, doit défendre un vieil inuk qui vivait dans la rue à Montréal. Il est accusé d’avoir assassiné deux anciens policiers, bons grands-pères de familles sans histoire. L’acte commis par le vieil inu inoffensif est incompréhensible et l’homme n’aide pas du tout son avocate, son mutisme le condamne presque d’office, il se laisse brutaliser par les gardiens de prison et les charges retenues contre lui semblent s’alourdir au fil de l’enquête d’Eve. J’ai oublié de vous dire que celle-ci possède un magnifique compagnon à quatre pattes, qu’elle a baptisé… Qimmik.

J’ai tout aimé dans ce roman : les personnages, le cadre du grand Nord (j’admire mais je ne tiendrais pas deux heures), les deux histoires croisées, la simplicité de l’écriture, les émotions libérées ainsi. On en apprend beaucoup sur la vie des Inuit, leur façon de vivre, leur respect et leur reconnaissance envers la nature, envers les animaux qui « se sacrifient » pour les nourrir. J’ai aimé Saullu, sa forte personnalité, son courage, j’ai aimé patienter avec elle pour guetter les trous de phoques, les bélugas, les « mythiques » caribous, pour construire son couple avec Ulaajuk. J’ai aimé le professionnalisme d’Eve, son sens aigu de la justice, sa sensibilité, sa relation avec son chien, ses longues balades avec lui. On se doute que le danger guette le peuple inu, forcé à la sédentarisation dans les années 1970, on sait ce que les autorités canadiennes les ont forcés à devenir. Heureusement la fin du roman laisse percer une lumière d’humanité inaltérable. Merci, Monsieur Michel Jean !

« Des humains vivent sur la Côte-Nord depuis près de dix mille ans et il n’aura fallu que quelques dizaines d’années pour transformer cette somptueuse baie protégée du large par un archipel d’îles rondes en une morne vallée industrielle, cerclée d’usines crachant des nuages opaques dans le ciel. »

« Tous les Inuit connaissent la faim un jour ou l’autre. Et tous connaissent la morsure du froid. Quand elles vous tenaillent, elles occupent tout l’espace. L’une et l’autre nous montrent les limites de nos existences. »

« Notre histoire est liée à la leur. Sans chiens, beaucoup de choses deviennent impossibles: se déplacer dans la tempête, juger de l’épaisseur et de la sécurité de la glace, trouver les trous d’air du phoque et bien d’autres choses du quotidien. En vérité, malgré tout notre savoir, disait mon père, sans son chien l’Inuk marche aveugle et sourd. »

« J’aime cette image du chasseur plus patient que la mort. Je peux rester immobile des heures, sous le soleil ou les nuages, en communion avec ma lance. Être prête. Attendre. Le temps qu’il faut. Nous vivons avec nos chiens sur cette terre dont personne ne veut depuis des milliers d’années. Et rien ne nous en chassera. »

Michel JEAN, Qimmik, Editions du Seuil, Collection Voix autochtones, 2025


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