


















Parfois, on se sent en suspension au-dessus des choses. Le monde est là, devant nous, tout autour de nous, nous sommes dans le monde, le monde est en nous. Et pourtant, on a l'impression de le contempler de loin. Ce n'est pas qu'il nous soit étranger. C'est qu'on a l'impression d'être de l'autre côté du miroir.
Alors, ce soir-là, je voyais la foule, je voyais la multitude, je voyais la joie, je voyais le bonheur, je voyais l'allégresse, je voyais la liesse. Enfin, je voyais plein de choses. J’avais un grand sourire sur le visage. J'arborais le sourire des heureuses, et je parlais avec tout le monde très facilement.
(Faut croire qu’il y a plusieurs êtres en moi.)
Cette jeunesse, ivre de ses trente ans (peut-être moins), ne se rendant pas compte de la brévité des choses, et tant mieux, car la vivant pleinement, la goûtant à belles gorgées. Cette lumière et cette architecture, tout leur appartenait. Tout était bon à prendre.
Et moi, qui avais trois fois vingt ans pour très longtemps, je survolais tout ça, pour un instant, le temps de m'oublier parmi tant d'autres.
Je me disais, c’est ici maintenant, et tant pis pour l'après. Il n'y a l’avait plus d'après. À ce moment-là, il n'y avait plus que maintenant. Des garçons, des filles, plusieurs centaines, tous ces jeunes actifs, urbains, travailleurs des offices, travailleurs des heures captives,
après que la cloche a retenti, le bonheur de se retrouver ensemble, dans un lieu à la fois improbable et tellement évident, tellement sublimé.
Pour une fois.
Pour une fois qu'une foule a une bonne idée, pour une fois qu’une foule au Luxembourg est illuminée, pour une fois qu'une foule se dit: la vie est belle, soyons ensemble, soyons grecs, italiens, espagnols, anglais, indiens, scandinaves, luxembourgeois, portugais, allemands, hollandais. Soyons tout ça en même temps, et ensemble. Et parlons-nous les uns aux autres facilement, même si on ne se connaît pas, on se parle. On se sourit. Et on dit oui à la photo.
