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Sido suivi de Les Vrilles de la vigne

Publié le 18 mars 2025 par Adtraviata
Sido suivi Vrilles vigne

Quatrième de couverture :

Dans Sido, la première partie du livre, Colette évoque le souvenir de sa mère tant aimée. Elle nous parle aussi de son père, « le capitaine », de sa sœur aînée, « l’étrangère », et de ses deux frères, « les sauvages », de l’amour qui unissait ses parents et de son enfance heureuse. Des confidences, des anecdotes, des dialogues sur tous les thèmes chers à Colette – l’amour, l’indépendance, la solitude, les souvenirs, les bêtes, la nature – composent Les Vrilles de la vigne, la seconde partie du volume. Grâce à ce style dru, savoureux, propre à Colette, ces récits, d’une extraordinaire poésie, sont parmi les plus beaux de notre littérature.

Pour mon classique de mars, je voulais lire une femme et Colette s’est spontanément « imposée » (d’autant qu’elle a un lien avec Maurice Ravel, fêté en ce mois de mars, avec qui elle a écrit L’enfant et les sortilèges). Et puis patatras, je me suis souvenue qu’on fêtait le 9 mars les 50 ans de la mort de la Belge Marie Gevers, je l’avais complètement oublié ; j’essayerai de lire un de ses romans d’ici fin mars ou début avril, je vous en parlerai plus tard.

Quel plaisir de lire Colette ! Et particulièrement quand elle évoque son enfance, sa mère et l’attachement unique qui lie mère et fille (même si le portrait qu’elle en dresse est sans doute plus flatteur que la réalité), son père qui rêvait de calme et avait bien du mal à tenir les finances familiales à flot, ses deux frères, l’un, Achille, médecin resté à Saint-Sauveur en Puisaye, l’autre, Léo, éternel enfant inconsolable que l’on ait graissé la grille du château du village, modifiant ainsi à jamais ses souvenirs d’enfance. Colette aux tresses « trop serrées » que sa mère acceptait de réveiller à trois heures et demie le matin pour la laisser goûter l’aube naissante, les deux frères battant la campagne par des chemins secrets, inaltérables complices de jeux et de tours secrets, Sido, à l’écoute de la nature, gouvernant la vie de la maison et du jardin, le Capitaine, exilé à la campagne, « qui nourrissait la tristesse profonde des amputés ».

Dans la deuxième partie du livre, des textes de quelques pages évoquent divers aspects de la vie de Colette. Le premier est le texte éponyme du livre, Les vrilles de la vigne, qui révèle le désir d’émancipation de l’écrivaine et son goût de la liberté parfois chèrement payée. Elle parle de ses amis chiens et chats, qui dialoguent entre eux (les célèbres Toby-Chien et Kiki-la-Doucette), du music-hall, de ses amies, de ses amours bisexuelles, de la peur de vieillir des femmes, des chagrins d’amour, de la nostalgie du pays quitté, des vacances à la mer ou dans le sud de la France. La préférence pour la couleur bleue et le goût de respecter le mystère des chats : deux petits traits qui me relient à Colette, outre l’amour de ses livres dont beaucoup me restent à découvrir.

Et toujours, la grâce de ce style unique, poétique, abondant, synesthésique, et toujours la grâce d’un humour tantôt tendre, tantôt mordant, et toujours les vibrations d’une vie de femme libre, inspirante.

«  »Sido » répugnait à toute hécatombe de fleurs. Elle qui ne savait que donner, je l’ai pourtant vue refuser les fleurs qu’on venait parfois quêter pour parer un corbillard ou une tombe. Elle se faisait dure, fronçait les sourcils et répondait « non » d’un air vindicatif.
-Mais c’est pour le pauvre M. Enfert qui est mort hier à la nuit! La pauvre Mme Enfert fait peine, elle dit qu’elle voudrait voir partir son mari sous les fleurs, que ce serait sa consolation! Vous qui avez de si belles roses-mousse, madame Colette…
-Mes roses-mousse! Quelle horreur! Sur un mort!
Après ce cri, elle se reprenait et répétait:
-Non. Personne n’a condamné mes roses à mourir en même temps que M. Enfert. »

« – Pour un petit froid passager, continuait « Sido », la chatte se roule en turban, le nez contre la naissance de la queue. Pour un grand froid, elle gare la plante de ses pattes de devant et les roule en manchon. »

« A trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par mon poids baignait d’abord mes jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps… J’allais seule, ce pays mal pensant était sans dangers. C’est sur ce chemin, c’est à cette heure que je prenais conscience de mon prix, d’un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par son éclosion… »

Ici un extrait très long de « Jour gris » dans Les Vrilles de la vigne, un souvenir encore vif du cours de déclamation il y a très longtemps au siècle dernier où j’ai présenté ce texte :

« J’appartiens à un pays que j’ai quitté. Tu ne peux empêcher qu’à cette heure s’y épanouisse au soleil toute une chevelure embaumée de forêts. Rien ne peut empêcher qu’à cette heure l’herbe profonde y noie le pied des arbres, d’un vert délicieux et apaisant dont mon âme a soif… Viens, toi qui l’ignores, viens que je te dise tout bas le parfum des bois de mon pays égale la fraise et la rose ! Tu jurerais, quand les taillis de ronces y sont en fleurs, qu’un fruit mûrit on ne sait où, – là-bas, ici, tout près, – un fruit insaisissable qu’on aspire en ouvrant les narines. Tu jurerais, quand l’automne pénètre et meurtrit les feuillages tombés, qu’une pomme trop mûre vient de choir, et tu la cherches et tu la flaires, ici, là-bas, tout près..
Et si tu passais, en juin, entre les prairies fauchées, à l’heure où la lune ruisselle sur les meules rondes qui sont les dunes de mon pays, tu sentirais, à leur parfum, s’ouvrir ton cœur. Tu fermerais les yeux, avec cette fierté grave dont tu voiles ta volupté, et tu laisserais tomber ta tête, avec un muet soupir…
Et si tu arrivais, un jour d’été, dans mon pays, au fond d’un jardin que je connais, un jardin noir de verdure et sans fleurs, si tu regardais bleuir, au lointain, une montagne ronde où les cailloux, les papillons et les chardons se teignent du même azur mauve et poussiéreux, tu m’oublierais, et tu t’assoirais là, pour n’en plus bouger jusqu’au terme de ta vie.
Il y a encore, dans mon pays, une vallée étroite comme un berceau où, le soir, s’étire et flotte un fil de brouillard, un brouillard ténu, blanc, vivant, un gracieux spectre de brume couché sur l’air humide… Animé d’un lent mouvement d’onde, il se fond en lui-même et se fait tour à tour nuage, femme endormie, serpent langoureux, cheval à cou de chimère… Si tu restes trop tard penché vers lui sur l’étroite vallée, à boire l’air glacé qui porte ce brouillard vivant comme une âme, un frisson te saisira, et toute la nuit tes songes seront fous…
 
Écoute encore, donne tes mains dans les miennes : si tu suivais, dans mon pays, un petit chemin que je connais, jaune et bordé de digitales d’un rose brûlant, tu croirais gravir le sentier enchanté qui mène hors de la vie… Le chant bondissant des frelons fourrés de velours t’y entraîne et bat à tes oreilles comme le sang même de ton cœur, jusqu’à la forêt, là-haut, où finit le monde… »

« A fréquenter le chat, on ne risque que de s’enrichir. Serait-ce par calcul que depuis un demi-siècle, je recherche sa compagnie? Je n’eus jamais à le chercher loin : il naît sous mes pas. Chat perdu, chat de ferme traqueur et traqué, maigri d’insomnie, chat de libraire embaumé d’encre, chats des crèmeries et des boucheries, bien nourris, mais transis, les plantes sur le carrelage: chats poussifs de la petite bourgeoisie, enflés de mou; heureux chats despotes qui régnez sur Claude Farrère, sur Paul Morand, – et sur moi… Tous vous me rencontrez sans surprise, non sans bonheur. Qu’entre cent chats, elle témoigne, un jour, en ma faveur, cette chatte errante et affamée qui se heurtait, en criant, à la foule que dégorge, le soir, le métro d’Auteuil. Elle me démêla, me reconnut : « Enfin toi!… Comme tu as tardé, je n’en puis plus… Où est ta maison? Va, je te suis… » Elle me suivit, si sûre de moi que le coeur m’en battait. Ma maison lui fit peur d’abord, parce que je n’y étais pas seule. Mais elle s’habitua, et y resta quatre ans, jusqu’à sa mort accidentelle. »

COLETTE, Sido suivi de Les Vrilles de la vigne, Le Livre de poche, 2010 (Première éditio de Sido : 1930 – Première édition de Les Vrilles de la vigne : 1908)


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