On sait moins en revanche que le modèle technique de la messagerie n'avait
absolument pas été prévu par les initiateurs du Minitel à la DGT (Direction
générale des télécommunications).
L'époque était à la constitution de grandes bases de données, telles que
l'annuaire électronique, mais l'idée que l'Etat favorise l'émergence de groupes
de discussions était on ne peut plus incongrue...
Nous nous trouvons donc en présence d'un joli cas de détournement de la
technique par les usages.
C'est sur Gretel, un service minitel initié par le quotidien Les dernières
nouvelles d'Alsace qu'a lieu le « détournement originel », en
1982.
Michel Landaret est alors en charge du service d'informations.
« L'expérience que nous conduisions s'adressait un très petit nombre
d'utilisateurs ; nous voulions déterminer si les professionnels et les
associations seraient intéressés par nos services d'information. La DGT n'avait
pas mis l'accent sur les fonctionnalités de communication du Minitel. Ce qui se
passa sur Grétel modifia radicalement la relation que les utilisateurs avaient
avec le service. À fins de recherche, nous avions placé leur utilisation sous
surveillance. Nous pûmes ainsi nous rendre compte que les nouveaux utilisateurs
avaient souvent du mal à comprendre le fonctionnement du système. Nous
décidâmes donc d'ajouter au serveur une fonctionnalité nous permettant de leur
envoyer un message directement à l'écran et de recevoir leur réponse pour les
aider à mieux apprendre à se servir du système. Un des utilisateurs arriva à
pirater cette fonctionnalité et commença à l'utiliser pour discuter avec
d'autres utilisateurs. Quand nous nous en sommes rendus compte, nous avons
décidé d'améliorer cette fonction et de l'ajouter aux services proposés au
public. Ils furent tous ravis. » (1)
Mais quel était donc ce pirate, « Big Panther », qui a permis de rendre
complètement interactif un service à l'origine uni-directionnel ?
« Les pirates, ils ne nous ont pas ennuyés. Ils s'y sont en général très
bien pris, ils nous ont appris beaucoup. Ils n'ont d'ailleurs jamais planté le
système. Il faut dire que nous avions mis des protections pour. C'est un gamin
de 10 ans qui trafiquait l'Apple de son papa qui l'a connecté sur le Minitel et
qui nous a foutu en l'air tout le système de mots de passe. Il l'a programmé en
boucle. Au début, on ne s'en préoccupait pas. On laissait les gens rentrer leur
mot de passe. » (2)
Il fallut néanmoins trancher rapidement sur l'avenir du service : le
fermer définitivement aux utilisateurs ou le faire évoluer pour
l'améliorer.
« Il a fallu adapter progressivement la messagerie en fonction de la
vitesse des usagers. Au début, ils allaient tout doucement, mais plus ils
gagnaient en vitesse, moins le logiciel de départ, qui imposait une certaine
lourdeur à la messagerie, était adapté. (...) Dans ces conditions, il fallait
concevoir des logiciels de plus en plus rapides. On est passé par des tas de
messageries différentes. Les changements sont venus d'eux-mêmes, mais il ne
faut pas oublier que la plupart des concepteurs sont des utilisateurs. On a
passé des heures et des heures à utiliser le système pour voir comment les gens
réussissaient. »
En 1982, 36 personnes peuvent, sur Gretel, converser en temps réel, deux à
deux, trois lignes d'écran par trois lignes d'écran : la messagerie
conviviale vient de naître en France, bien avant que l'on ne parle de
messageries roses.
MISEAJOUR DU 11 mars 2007 : Gretel : Michel Landaret apporte ses précisions
Sources
(1)Howard Rheingold, Les communautés virtuelles, Addison-Wesley, 1995.
Chapitre "TÉLÉMATIQUE ET MESSAGERIES ROSES : Histoire de deux communautés
virtuelles" (texte intégral ici)
(2)Marie Marchand, La grande aventure du Minitel, Larousse, 1987.
Photographie : Pierre Aït-Hammouda, série
"36 15"