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Aïcha, de Mehdi Barsaoui

Publié le 15 mars 2025 par Africultures @africultures

Dans la continuité du brio de ses courts métrages (Bobby, On est bien comme ça) et de son premier long, Un fils, où un père, pour sauver son fils, est confronté à l’infidélité de sa femme, Mehdi Barsaoui poursuit avec Aïcha son exploration des impasses mais aussi des dynamiques de la société tunisienne. Prix du meilleur film méditerranéen à la Mostra de Venise (octroyé par l’Académie des Beaux-Arts de Venise), il sort le 19 mars 2025 dans les salles françaises. Captivant. Cf. également notre entretien avec Mehdi Barsaoui.

Aya est coincée. Elle voudrait repartir de zéro. Et voilà que par un coup du destin qui ne prévient pas, elle en a l’opportunité. La voilà à Tunis. Elle a changé de nom : Amina. Mais là aussi, le destin se manifeste. Et la voilà à nouveau coincée dans une histoire glauque. Pourra-t-elle à nouveau changer de nom et devenir Aïcha ?

Elles et ils sont nombreux qui voudraient changer de vie dans la Tunisie de l’après-révolution. Un fait divers est à l’origine de l’idée de ce film qui ne cesse de reposer la question de l’identité d’une femme qui se cherche une survie face aux engrenages posés par les obligations familiales et les compromis de toutes sortes que doivent gérer les pauvres dans une société inégalitaire. Aya n’est pas un modèle. Mais elle refuse de se soumettre. Elle ose. Elle se bat, lucide, déterminée, sans illusions.

Le récit est malin : il la place dans des situations où elle a le choix, impliquant le spectateur dans ses ambiguïtés. Il fait d’Aya/Amina un personnage moteur alors que tout se retourne toujours contre elle. Mais si elle est victime, c’est de sa condition, car toutes ses tentatives d’en sortir se heurtent aux logiques d’une société sous contrôle. A ce niveau, la révolution n’a pas modifié les hiérarchies et les pouvoirs. Servi par une actrice d’une impressionnante présence (Fatma Sfar) et par la remarquable maîtrise de sa mise en scène, Aïcha est un ainsi un film-constat. Son scénario à rebondissements captive et mobilise mais laisse percer la tristesse d’une Tunisie qui a joué un rôle moteur dans les révolutions arabes des années 2010 mais qui n’a pu réellement en profiter.

La tristesse est avant tout de voir une famille vouloir marier leur fille au plus offrant, car c’est là que commence le récit et l’étau que ressent et vit Aya, laquelle poursuivait déjà des chimères. En tant que jeune femme, elle est confrontée à l’injustice sociale, la pression familiale, la frustration amoureuse, les dictats religieux et sociaux… En devenant Amina, elle expérimente la misogynie, le sexisme, la corruption ainsi que l’oppression de la police. Tout cela serait trop rude sans quelques anges gardiens (Yasmine, Farès) qui rendent un peu d’air au récit malgré leur relative improbabilité. C’est qu’il ne fallait pas trop plomber les choses : le cinéma n’est pas là pour nous désespérer mais pour mobiliser l’espoir. Une Aïcha est possible, si l’on veut bien y croire, à nous d’en chercher la voie.

C’est ainsi que les couleurs éteintes de Tozeur au départ font place à la lumière de Tunis malgré les contradictions jusqu’à s’ouvrir au bord de mer en fin de film, non sans passer par l’obscurité du commissariat de police. La caméra suit le même mouvement, plutôt passive au départ, pour s’activer à Tunis et épouser les mouvements tant physiques que mentaux d’Amina. Elle fixe volontiers Aya/Amina en gros plans pour nous la rendre plus présente, mais le cadre est en scope pour situer un environnement dont les décors et le graphisme servent le récit.

Il fallait cependant éviter des pièges. Cette mise en scène est discrète et fluide pour ne rien marteler. Les personnages sont habités par leur complexité plutôt que d’être stéréotypés. Ils sont inattendus et ont l’épaisseur de la vie où rien n’est en noir et blanc. Aya est travaillée par sa culpabilité vis-à-vis de ses parents, et ne pourra s’épanouir qu’en résolvant l’intrigue politico-policière dans laquelle Amina est tombée, qui est justement une histoire de culpabilité. C’est cette imbrication qui fait la force de ce film que nous ne sommes pas près d’oublier.

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