Assise, du sanctuaire aux visiteurs
Une séance de travail qui doit aboutir à la définition d’un nouvel itinéraire culturel est toujours passionnante.
Je me souviens avec beaucoup de respect de la naissance de l’itinéraire du patrimoine juif, ou des discussions sur l’itinéraire du patrimoine des migrations, tandis que je sens parfaitement combien il est difficile de mettre en place un itinéraire de l’art rupestre qui ne soit pas limité au simple fait des grottes ornées, pour magnifique qu’elles soient, mais tente de mettre en évidence la réalité d’une spécificité des premiers Européens qui ont imprimé l’objet de leurs rêves ou de leurs craintes sur une paroi.
La question la plus fondamentale est bien à chaque fois : en quoi un nouveau thème a-t-il une spécificité européenne, en quoi un peuple qui s’installe dans les grottes de la péninsule ibérique est-il différent des autres branches qui peuplent le nord de l’Afrique ? Et surtout qu’est-ce qu’un tel sujet nous apporte pour la compréhension de l’Europe ?
L’idée d’un itinéraire entre Lübeck et Rome n’est pas neuve. Elle a fait son entrée un peu subrepticement au Conseil de l’Europe et au ministère des Biens culturels italiens par des portes dérobées à la fin des années 90, et sans jeu de mot, les fonctionnaires qui s’en sont saisi, ont aussi dérobé l’idée pour la cacher au fond d’un tiroir. Et même s’il m’arrive de regarder dans les tiroirs qu’on voudrait me cacher pour voir ce qui traîne, on m’a vite refermé la porte sur les doigts.
Etait-ce concerté ? Etait-ce le fait de la part de la personne en charge au Conseil de l’Europe à l’époque de souhaiter seulement aller en voyage, de se réserver les initiatives italiennes, sans plus et de la fonctionnaire italienne en charge du dossier, de favoriser un autre itinéraire ? Mais il me semblait bien que tout était resté dans l’état primitif : celui d’un beau travail pédagogique.
Toujours est-il que depuis un an, plusieurs communautés de montagne italiennes ont repris la balle au bond, en tentant de réactiver un travail de catalogage réalisé par Maria Vittoria Ambrogi et Giambaldo Belardi il y a déjà six années le long de ce tracé que les deux scientifiques considèrent essentiel, mais qui, en l’état ne ressemble au mieux qu’à un Guide Bleu illustré, explorant un axe Nord-Sud de l’Europe, au pire à un catalogue Ikea où chacun peut composer sa propre salle de séjour en fonction du style et du prix.
Car toute la question est là. Mes deux visites dans les Marches et en Ombrie sont particulièrement démonstratives d’une richesse extraordinaire, voire d’un trop plein. Et la manière dont on a accéléré pour moi le rythme de ces découvertes est symbolique de l’idée que l’on cherche ma conviction par l’accumulation. Mais un itinéraire culturel est toujours fondé sur un choix. Et ceux qui visitent doivent avoir droit à un choix multiple…mais guidé et balisé.
Nous avons tous en tête, et dans le cœur, les images des traités de paix autour de grande tables, celles de la tête réjouie de ceux qui ont signé à Londres, Bruxelles, Rome, prolongeant ainsi par des gestes de réconciliation et de coopération souhaitée la vie de parchemins plus anciens, ainsi que le souvenir d’autres dialogues restaurés souvent dans la douleur, de part et d’autre du Rhin, du Danube et de bien d’autres fleuves – frontières européens.
Et je dirais même que ces visages épanouis, prennent une revanche très symbolique sur des Traités qui, à Vienne ou à Versailles, ont charcuté les hommes en divisant leurs terres, au gré des combinaisons de couloir, ou sur l’armistice signé dans le wagon-restaurant de Rethondes, qui inaugurera plusieurs dizaines d’années d’humiliation, avant que les Allemands ne l’utilisent dans l’exact opposé, la capitulation française, puis que les SS retirent ce même wagon pour l’effacer des mémoires et que enfin, les Français le réinstallent en 1950, ou du moins un wagon de la même série, comme un chaînon manquant.
Malheureusement, àcôté de Londres, Bruxelles, Rome, il y a Yalta et d’autres charcutages, bien plus graves encore dont nous subissons les effets, jusque dans les Balkans et le Caucase, encore aujourd’hui.
Et derrière ces cérémonies, on distingue d’autres couches plus anciennes : par exemple celles des saints fondateurs de valeurs qui dépassent l’église où elles se sont inscrites, San Ubaldo à Gubbio et San Francesco à Assisi étant les plus marquants, le long d’une route où les codex précèdent les Traités et où les ponts qui traversent les rivières et les fleuves, à Strasbourg, celui de l’Europe ou à Luzern, le Kapelbrücke en bois, semblent posés pour que de Lübeck, avec Thomas Mann jusqu’à Goethe à Rome, en passant par Verdi en Emilie-Romagne, sans oublier Dante et Gutemberg, les livres faits de mots ou de notes de musique, parlent d’un sentiment commun au coeur des hommes.
S’il est un point majeur qui est venu de la réunion d’aujourd’hui, c’est celui qui concerne le titre qui, en même temps définit la manière de voir, de percevoir, d’interpréter et de mettre en œuvre l’itinéraire, non comme un espace de pèlerinage, mais comme « Une voie historique de paix pour le futur ». Du particulier à l’universel !
Est-ce que Gutemberg, Jean-Paul II, Rossini, Carl Maria von Weber, Saint François d’Assise, Sainte Odile, Leonardo da Vinci, les marcheurs de la Paix à Assise et ceux qui se rendaient à Rome, peuvent s’y retrouver ?
Nous allons bien voir.En attendant, l’ancien Directeur de Cività, cet organe culturel un peu tentaculaire mis en place par le Maire de Rome, Francesco Rutelli, Nicolo Savarese, un architecte, a entrepris de théoriser la structuration de l’itinéraire. Et de poser les grands thèmes : les conflits ethnico-culturels (et la sauvegarde de la diversité culturelle), les conflits religieux (versus la tolérance et la réconciliation), les conflits de l’environnement et les conflits économiques (harmonisation et développement local).
De l’intolérance ethnique, il aura finalement été aussi longuement question. Mais il faut dire que depuis mon premier voyage, le nouveau gouvernement Berlusconi est nommé et que les lois ethniques sont sur la table.
Mais de cela il sera question demain.