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Entre toutes les femmes

Publié le 28 février 2025 par Adtraviata
Entre toutes femmes

Quatrième de couverture :

Marqué à jamais par son combat dans les rangs de l’IRA pendant la guerre d’Indépendance, Michael Moran a régenté sa famille et sa ferme au cœur de l’Irlande rurale avec une autorité toute militaire. Désormais âgé et aigri, estimant que les politiciens au pouvoir trahissent ses idéaux au point de refuser la pension qui lui reviendrait de droit, il reste au centre des préoccupations de ses trois filles et de sa seconde épouse.

Si ses deux fils ont tôt fui le foyer, révoltés par la manière dont ce père obstiné et souvent cruel tentait de gouverner leurs jeunes existences, les filles, elles, n’ont finalement jamais vraiment quitté la maison de Grande Prairie, malgré leur mariage, leurs enfants et leur travail à Londres ou à Dublin. Alors que Moran s’affaiblit, elles n’ont de cesse de lui insuffler un peu de cette énergie qu’il a déployée tout au long de sa vie, souvent pour tenter de les plier à ses propres volontés.

Dans ce roman magistral, John g, grand maître de la prose irlandaise, explore avec une finesse sans pareille les sentiments complexes liant la fratrie à sa figure tutélaire. Ses magnifiques portraits sondent la relation trouble entre amour et haine, respect et rébellion, soumission et défi. Entre toutes les femmes, plus qu’un livre sur l’autorité paternelle, est l’histoire de la subversive et douce émancipation qu’il retrace en une splendide et âpre saga.

Quelle découverte que cet auteur et ce roman irlandais ! Le titre (le même en anglais qu’en français) est particulièrement bien choisi : ce court extrait du « Je vous salue, Marie » (« Vous êtes bénie entre toutes les femmes ») évoque la prière du chapelet que Michael Moran et sa famille récitent tous les soirs, agenouillés sur des vieux journaux, et bien sûr, les femmes de la famille Moran. Les trois filles, Maggie, Sheila et Mona, la seconde épouse, Rose, prennent soin de lui, l’aiment envers et contre tout et s’arrangent pour contourner ses colères, gagner un peu de liberté, s’émanciper quelque peu de ce père autoritaire et parfois violent. Les deux fils ont quitté la maison, Luke pour carrément échapper à la dictature paternelle, Michael pour gagner sa liberté après avoir été protégé par ses soeurs. Tout tourne autour de ce père, ancien combattant aigri de la guerre d’indépendance irlandaise en 1920, qui quitte rarement sa ferme, entretient peu de relations extérieures sauf un ancien soldat comme lui, et prône haut et fort les valeurs familiales traditionnelles. On peut comprendre pourquoi les deux fils, aîné et benjamin de la fratrie, sont partis et on se demande comment la chaleureuse Rose a tout fait pour l’épouser.

John McGahern écrit bien, il fait ressentir l’emprise de ce père étouffant (et attachant malgré tout), centre de l’histoire, en construisant pas à pas son roman sans chapitres, narrant la vie de la famille Moran, traçant des portraits tout en nuances, sur fond d’une Irlande traditionnelle et rurale. Certes, cette vision de la femme, des femmes ne nous convient plus mais Rose et les filles Moran parviennent malgré tout à trouver de l’autonomie, de la liberté, tout en restant attachées à ce père omniprésent. Cela rend ce roman captivant de bout en bout. J’ai déjà noté avec soin d’autres titres de John McGahern (des romans et un recueil de nouvelles) que l’éditrice Sabine Wespieser est en train de rééditer en français. Merci à elle !

« Pour sa part, il n’avait jamais réussi à avoir des rapports normaux avec le monde extérieur. En fait il n’avait eu de rapports qu’avec lui-même, et avec cette extension de lui-même qu’était sa famille: un amalgame de personnes réunies par le mariage ou par le hasard. Il n’avait jamais été capable de sortir de la coquille de son moi. « 

« Ses filles avaient appris à l’accepter dans ses humeurs les plus diverses : elles avaient pour lui de la reconnaissance dès qu’il n’était pas dans une de ses humeurs les plus atroces, elles avaient pour lui une reconnaissance démesurée dès qu’il manifestait la moindre trace de bonne volonté, même si elles auraient trouvé cela à peine acceptable de la part de quelqu’un avec qui elles étaient sur un pied d’égalité. »

« A l’intérieur de la maison, le monde extérieur était banni. Il n’y avait que Moran, leur père bien-aimé; encloses dans son ombre et dans les murs de la maison, elles avaient l’impression qu’elles ne mourraient jamais. »

« Ils se sentaient réunis par le profond besoin qu’ils éprouvaient les uns des autres, de même que par l’absence de ceux qui manquaient à l’appel. »

John McGAHERN, Entre toutes les femmes, traduit de l’anglais (Irlande) par Alain Delahaye, Sabine Wespieser éditeur, 2022

(Le roman original date de 1990.)


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