Les sources

de Marie-Hélène Lafon

Roman - 115 pages

Editions Buchet Chastel - janvier 2023

Editions Livre de Poche - août 2024

1967. Dans une ferme isolée du Cantal, Nicole, 30 ans,  et son mari agriculteur vivent avec leurs trois enfants Isabelle, Claire et le dernier Gilles, 4 ans. Une vie domestique entre les tâches ménagères quotidiennes, les enfants, et les repas dominicaux qui alternent entre chez ses parents et sa belle-famille. Des bulles de calme pendant lesquelles il la laisse tranquille, lui épargne sa violence et ses humiliations. Ce dimanche de juin, ils sont en route, mais cette journée pour Nicole et toute la famille sera décisive.

Balance tes violences conjugales en milieu rural.... Comment le faire autrement qu'en écrivant un livre ? Heureusement, Nicole un jour, trouve le courage faramineux de s'ouvrir à sa mère. Ce sera la fin du premier acte. Deux vont suivre, 1974 avec le point de vue du père, isolé comme un loup dans la bergerie vide, qui voit peu ses enfants, et les voit vite lui échapper. Et enfin le dernier et court acte prend place en 2021 avec un retour aux sources de Claire, alors que la page de la ferme se tourne définitivement.

Extrait :

"La corbeille à linge est presque pleine. Elle se tient dans l'allée du jardin et secoue la tête pour ne pas penser à ces six premiers mois de son mariage, de janvier à juin 1960, où elle habitait Soulages. Elle se souvient et ça cogne de tous les côtés. Elle a été enceinte tout de suite, Isabelle est née le 30 novembre 1960, onze mois jour pour jour après leur mariage. Les deux combinaisons, le chemisier, la jupe ; elle les dépose sur le dessus de la corbeille ; elle ne reconnait pas son corps que les trois enfants ont traversé ; elle ne sait pas ce qu'elle est devenue, elle est perdue dans les replis de son ventre couturé, haché par les cicatrices des trois césariennes. Ses bras, ses cuisses, ses mollets, et le reste. Saccagé ; son premier corps, le vrai, celui d'avant, est caché là-dedans, terré, tapi. Il dit, tu ressembles plus à rien. Il dit, tu pues, ça pue. Et il s'enfonce."

C'est un roman court qui se lit comme on court, à toute allure, ça avance vite, ça trébuche, les mots rebondissent, s'entrechoquent, la phrase repart par dessus bord, on lit comme on s'enfuit, attiré par l'après, l'au-devant de soi, là où l'on pourra respirer. Marie Hélène-Lafon de sa plume précise, concise, arrive à instaurer une vitesse dans l'immobilité. 

C'est un roman qui sort une histoire de son silence social et territorial, qui donne corps à une femme ordinaire, qui n'est pas encensée ni idéalisée, mais qui est portée simplement, donnée à voir. Un roman aux accents autobiographiques qui, avec une grande économie de verbe, nous fait éclater une injustice conjugale qui englua toute une famille dans une peur nauséabonde. Mais c'est aussi le roman d'une libération.

L'avis de Ghislaine - Notre jardin des livres

L'avis de Joëlle - JoelleBooks