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Le Convoi de l’eau d’Akira Yoshimura

Par Etcetera
Convoi l’eau d’Akira Yoshimura

Ayant été très impressionnée par une première approche de cet écrivain japonais du 20e siècle, avec le roman Naufrages (Ma chronique ici), je gardais en tête l’idée de lire un autre de ses livres.
Ce mois thématique sur le Japon m’a permis de réaliser ce souhait.
C’est avec un vif intérêt que j’ai retrouvé l’atmosphère si particulière de ses livres, à la fois sombre, étrange, mystérieuse, cruelle, et teintée d’un léger sentiment d’irréalité qui nimbe de poésie cette histoire.

Note Pratique sur le livre

Editeur : Actes Sud (collection Babel)
Année de publication : (originale) 1976 (en français) 2009
Traduit du japonais par Yutaka Makino
Nombre de pages : 174

Résumé du début de l’intrigue

Le narrateur est un ancien repris de justice. Il a fait de la prison pour meurtre et cherche maintenant à se faire discret. Il se fait engager comme ouvrier pour réaliser des travaux d’installation d’un barrage dans une vallée éloignée et difficile d’accès. Intégré dans une équipe d’une soixantaine d’hommes, ils découvrent ensemble un hameau étrange et inquiétant, situé à l’endroit précis où l’entreprise veut créer un lac de retenue d’eau. Les ouvriers savent que le hameau est destiné à être englouti mais ils n’en disent rien aux habitants, avec qui ils n’ont quasiment pas de contact, pour cause de méfiance et de crainte réciproque. Les ouvriers commencent à sonder et à analyser les sols, ils se mettent à dynamiter les blocs de roches avoisinants. Mais chaque étape de leurs travaux semble toujours avoir des répercussions funestes sur les habitants du hameau. (…)

Mon Avis

C’est un roman tout à fait étrange, doté d’une ambiance prenante et même fascinante. L’histoire est imprégnée de pluies, de brumes, de mousses et c’est une sensation verte, humide et spongieuse qui semble nous envelopper. La présence de la mort est forte et se poursuit tout le long du livre. Certains lecteurs pourront même dire qu’il est macabre, morbide et c’est vrai que l’auteur ne nous épargne pas deux ou trois descriptions peu réjouissantes. Mais une certaine poésie et une délicatesse de l’écriture accompagnent ces descriptions.
Les notions du bien et du mal sous-tendent le roman de bout en bout, avec des effets de miroir troublants entre les ouvriers venus construire le barrage et les habitants du hameau. Nous pouvons penser, avec un a priori manichéen, que l’entreprise de construction (ou plutôt de destruction, en l’occurrence) représente le mal et que le hameau (victime de l’entreprise en question) représente le bien. Mais les choses sont beaucoup plus subtiles et complexes que cela et, justement, la manière dont le narrateur oscille sans cesse, vis à vis des habitants du hameau, entre incompréhension, inquiétude et identification nous fait pénétrer dans des réalités psychologiques très profondes. Interrogations aussi sur la notion d’étranger et d’altérité. L’Autre nous ressemble comme deux gouttes d’eau et pourtant il nous reste une énigme. Nous n’arrivons à rien prévoir de ses réactions et interprétons ses actes de travers mais, pourtant, c’est lui qui nous révèle à nous-mêmes. Car ce livre est aussi une histoire de rédemption et le lecteur est touché et ému à la fin, de façon surprenante. Ce roman plutôt sombre finit sur des notes lumineuses, sans pour autant éclaircir tous les mystères.
L’atmosphère du livre ressemble parfois un peu aux romans de Kafka, avec ce sentiment d’inquiétude et de grande incertitude qui plane, et le fait que toute l’histoire gravite autour de la « rivière K » peut évidemment nous évoquer un hommage explicite.
Un livre qui m’a totalement captivée et emballée ! Un univers dans lequel on s’immerge et dont on a du mal à sortir, même après avoir tourné la dernière page.

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Un Extrait page 10

Les sujets de conversation concernant ce hameau avaient manifestement stimulé l’intérêt populaire. Parce qu’un village supposé exister secrètement au fin fond des montagnes sans aucune relation avec la population locale dépassait l’entendement et ne pouvait être accepté que sous forme de légende. D’ailleurs, il semble que les spécialistes d’histoire régionale, ayant collecté et trié ce qui était de l’ordre du folklore et des anciens écrits, en avaient déduit que les habitants de ce hameau étaient sans doute des descendants de bannis.
Mais quelques années plus tard, c’est dans un tout autre domaine, excluant tout intérêt folklorique, que l’on s’était intéressé soudain à cette vallée qui abritait le hameau… Tout cela à cause du cours de la rivière K, au bord de laquelle on supposait que le hameau se trouvait.
Toute la zone en amont de la K avait très tôt été considérée comme un site favorable pour l’exploitation d’électricité, du fait de l’importante déclivité du courant et des précipitations exceptionnellement fortes même pour le Japon (…)

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