Lecture pour tous

J’étais celui qui fait entrer un rond dans un carré à la maternelle. 

— Organisation de la pensée et coordination des mouvements

Plus tard, j’étais le seul en culotte courte dans la cour des grands, moustache naissante et jambes nues. L’entrée en sixième était le signal des pantalons. Un jour pourtant j’eus l’occasion de participer à un conciliabule dans la cour de récré. J’avais lu « Vipère au poing »et la conversation portait sur le feuilleton de la veille avec Alice Sapristi. Ma version de Bazin ne pesait rien en face de la version télé tirée du roman d’Hervé, un futur collègue. Quand mon copain a jeté mon secret en pâture à ces apprentis fauves « - il a pas la télé » oubliant le n’ a de la forme négative complète je n’avais plus qu’à retourner sur cette île déserte au pied du platane au centre de la cour avec en prime la révélation de Vendredi qui venait de vaincre pour qq heures l’ostracisme dont il était victime en contrepartie de notre complicité. La lecture fut ce jour là ringardisée par la télé. Il me restait la dendrologie pour occuper ma solitude. Pour autant l’organisation déviante de ma pensée se tourna vers la détestation de cette pseudo-culture attribuée à de la prétention. J’endossais l’habit de l’usurpateur portant la honte de sa famille modeste incapable de se payer une télé maman ayant choisi d'acheter à crédit l’œuvre reliée de Bazin, Cocteau, Giono, Mauriac, Genevoix et Guitry convaincue par un vendeur à la sauvette. 

J’étais responsable d’:

a) Une énième dispute papa/maman

b) Une étiquette de marginal prétentieux inapte à s’intégrer 

c) Etre un demi-romano habitant un logement vétuste sans télé donc probablement s’éclairant à la chandelle avec les chiottes sur le palier

Ma myopie corrigée par des lunettes Emmaüs dont il manquait une branche confirmait que j’habitais bel et bien le quart monde

Pas de quoi geindre! Aujourd’hui le bon de sortie de la marginalité c’est un IPhone 16 et un daron qui te dépose au lycée en Porsche Cayenne