
Quatrième de couverture :
De 1934 à nos jours, les destins entrelacés de deux familles indiennes, isolées dans leur réserve du Dakota, à qui les Blancs ont non seulement volé leur terre mais aussi tenté de voler leur âme. Mêlant comédie et tragédie, puisant aux sources d’un univers imaginaire, riche et poétique, qui marque tous ses livres, de Dernier rapport à Little No Horse à Ce qui a dévoré nos cœurs, ce premier roman de Louise Erdrich est présenté ici dans sa version définitive, reprise et augmentée par l’auteur.
Premier roman de Louise Erdrich, Love Medicine peut se lire comme un recueil de nouvelles car chaque chapitre s’attache à un personnage et à une période différente. Mais en réalité, grâce à la généalogie heureusement fournie au début pour s’y retrouver (à peu près), l’autrice amérindienne (pour rappel, elle a des origines ojibwé) tisse l’histoire de deux familles, des années années trente aux années quatre-vingt environ, les Kashpaw et les Lamartine, liés aux Lazarre et aux Morrissey. On commence par des retrouvailles familiales pour les funérailles de tante June et le roman s’achèvera en boucle parfaite sur le personnage de June. Nous sommes sur une réserve indienne, avec toute la douleur y attachée : alcool, violence, tentatives d’émancipation par le travail vite vouées à l’échec, miettes accordées par le gouvernement fédéral. Dans ce contexte difficile, les femmes sont souvent les gardiennes des traditions, règnent sur leur famille de main de maître et font et défont les amours et les désunions.
Si j’ai eu un peu (juste un peu) de mal à comprendre où allait Louise Erdrich au début, j’ai vite été passionnée par cette histoire, par ces histoires et j’ai goûté avec délectation son art de camper des personnages, de les relier avec sensibilité à la nature et aux esprits, sa maîtrise du récit (pour un premier roman, c’est bluffant) et les différentes émotions qu’elle instille dans son texte : on passe du rire à la gorge serrée d’un chapitre à l’autre. Si on connaît déjà d’autres titres de l’autrice, on apprécie aussi les clins d’oeil à Dernier rapport sur les miracles à Little No Horse avec l’évocation du père Damien ou La décapotable rouge, titre d’un recueil de nouvelles (auxquelles je vais m’intéresser) qui est aussi le titre d’un chapitre de ce premier roman.
« Parfois le ciel tout entier était cerné de points filants et de fronces lumineuses se rassemblant et retombant, palpitant, perdant leur éclat, avec la régularité de la respiration. D’un seul bloc. Comme si le ciel était un système nerveux que nos pensées et nos souvenirs parcouraient. Comme si le ciel était une gigantesque mémoire pour nous tous. Ou une salle de bal. Et que toutes les âmes errantes du monde y dansaient. »
« Pour commencer, ils vous donnaient des terres qui ne valaient rien et puis ils vous les retiraient de sous les pieds. Ils vous prenaient vos gosses et leur fourraient la langue anglaise dans la bouche. Ils envoyaient votre frère en enfer, et vous le réexpédiaient totalement frit. Ils vous vendaient de la gnôle en échange de fourrures, et puis vous disaient de ne pas picoler. Il était temps, il était plus que grand temps que les Indiens se dégourdissent et commencent à utiliser le seule force qu’ils avaient à leur disposition -la loi fédérale. »
« Un médecin du coin avait témoigné au nom des testicules du cow-boy, et déclaré que sa fertilité risquait d’être diminuée. Gerry s’était un peu fâché en entendant cela, et avait carrément rétorqué à la cour qu’il avait peine à croire qu’il avait fait autant de dégâts vu que les couilles du cow-boy étaient des cibles très petites, qu’il faisait noir, et que de toute façon il avait mal visé à cause de deux, ou peut-être étaient-ce trois bières. »
Louise ERDRICH, Love Medicine, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez, Le Livre de poche, 2011 (Albin Michel, 2008)
Louise Erdrich était la sorcière de janvier chez Lili des Bellons (sur instagram).