
Critique de Trahisons de Harold Pinter, vu le 30 janvier 2025 au Théâtre de l’Oeuvre
Avec Swann Arlaud, Marc Arnaud, Marie Kauffmann et Tobias Nuytten, mis en scène par Tatiana Vialle
Je suis tombée amoureuse de cette pièce lorsque je l’ai découverte, il y a plus de dix ans, dans une mise en scène de Daniel Mesguich. On tombe amoureux de la pièce, de sa forme, de son mystère, de ce rapport si particulier qu’elle entretient avec le spectateur. Comme si elle jouait à la fois avec nous, de nous, et contre nous. Comme si, chaque fois qu’elle se livrait un peu, elle semblait nous échapper à nouveau. Est-ce que cette vision de l’amour est très saine ? Probablement pas. Et c’est encore pire au sortir du spectacle.
Trahisons, c’est un grand puzzle. On nous donne l’image finale, et puis on nous donne des pièces, et c’est à nous de tout recoller. L’image finale, c’est ça : Emma annonce à Jerry, qui a été son amant pendant des années, qu’elle vient de raconter leur histoire à son mari, Robert. Et qu’ils vont se quitter. Pourquoi cet aveu soudain, alors que cela fait deux ans qu’ils ne se sont pas vus ? Jerry ne comprend pas. Nous non plus. Normal : il nous manque encore quelques pièces…
J’ai l’habitude de prendre des notes lorsque je vais voir des spectacles, mais pour ce spectacle, ça n’a servi à rien. Car j’y ai noté tout ce qu’ils faisaient passer. Tout ce que leurs silences évoquaient, tout ce que leurs regards racontaient. Toutes les choses que j’y ai découvertes, alors même que je pensais si bien connaître cette pièce. Mais le plaisir de cette pièce, c’est la découverte. Contentons-nous de dire, alors, que cette distribution, que cette direction d’acteurs, que cette mise en scène, que ce chemin qui nous est proposé, s’imbriquent dans une justesse parfaite.
C’est une pièce fabuleuse, mais traître. La première confrontation est, je pense, « forcément » captivante. On découvre cette forme particulière, on récupère les indices au fur et à mesure, on se laisse mener à la baguette… il y a quelque chose de troublant et de fascinant à la fois. Bref, vous l’aurez compris, si c’est votre première fois, allez-y les yeux fermés. Mais une fois qu’on a déjà les pièces du puzzle, une fois qu’on connaît un peu l’histoire, une fois que le macro n’a plus de secret pour nous, il faut trouver autre chose. C’est alors dans le micro que tout se joue. Trahisons, c’est une pièce qui ne demande qu’à être façonnée. Car si le texte est génial, c’est aussi parce qu’il ne livre pas tout : il ouvre des brèches, laisse des silences, suspend des intentions. Tout passe alors dans un regard, une inflexion, un infime déplacement. C’est là, sans jamais être dit. Et ici, c’est d’une précision redoutable. Bref, vous l’aurez compris, même si c’est votre dixième fois, allez-y les yeux fermés.
Pour la vision de l’amour, je ne sais pas. Pour la vision du théâtre, vous êtes au bon endroit.



