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« L’Oie sauvage » de Mori Ôgai

Par Etcetera
L’Oie sauvage Mori Ôgai

Ce roman classique japonais m’a été offert pour mon anniversaire de l’an dernier, par une amie proche.
C’était la première fois que je lisais Mori Ôgai et il me semble que je n’en avais pas entendu parler avant de recevoir ce cadeau. Pour cette raison, cette lecture rentre dans le cadre du défi « Un classique par mois » organisé par Etienne Ruhaud sur son blog Page Paysage – défi où il s’agit de lire un auteur classique qu’on n’a encore jamais lu.

Note Pratique sur le livre 

Éditeur : Cambourakis
Date de publication originale : 1911
Année de publication (dans cette traduction) : 2014
Traduction du japonais par Reiko Vergnerie 
Nombre de pages : 172

Note biographique sur l’écrivain 

Né avec la révolution industrielle, politique et culturelle de Meiji, formé aux lettres classiques chinoises, traducteur de Goethe, d’Ibsen et de Rilke et de bien d’autres Mori Ôgai (1862-1922) est considéré comme un précurseur et un maître du roman moderne japonais, au même titre que Sôseki ou Akutagawa. 
(Source : éditeur) 

Extrait de la Quatrième de couverture 

Un soir de septembre, à Tokyo, en l’an treize de Meiji, le calme regard d’Otama croise pour la première fois celui d’un étudiant en médecine passant distraitement devant sa modeste demeure de « maîtresse entretenue ». Un sourire se dessine bientôt sur le visage un peu triste de la jeune femme tandis que le promeneur, inconsciemment, ôte sa coiffure pour saluer cette reconnaissance secrète aussi bien qu’incertaine.

Mon avis

C’est un roman d’une grande finesse et qui ne néglige aucun détail. L’histoire se passe à Tokyo et les références à tel ou tel quartier de la ville et à la configuration des boutiques ou des maisons sont assez nombreuses. Les mœurs japonaises de l’époque et les habitudes de vie des citadins – ce qu’ils mangent, notamment, mais aussi la manière de faire ses courses ou l’emploi d’entremetteuses dans les affaires de cœur – nous semblent très vivantes à travers ces pages.

Quand on arrive à la fin du livre, on se dit que l’histoire est tout de même très mince. On imaginait au début que des tas de choses allaient arriver entre le bel étudiant en médecine et la belle femme entretenue mais le suspens maintenu jusqu’au bout ne nous conduit pas où nous croyions aller. Et finalement cet étudiant en médecine n’aura été qu’un personnage assez secondaire – dont la seule utilité est de révéler le véritable visage de la femme entretenue : sensuelle, timide, fière et assez dissimulatrice.

Les deux personnages féminins principaux sont les plus beaux et les plus intéressants de ce roman. Otama, la femme entretenue, est un être qui n’a pas eu le choix de son destin. Issue d’une famille pauvre, elle doit se vendre à un homme riche pour assurer son confort et, surtout, celui de son père. Elle a été dupée par Suézô, qui lui a caché qu’il était marié, père de famille et aussi usurier, pour la décider à devenir sa maîtresse. Lorsqu’elle l’apprend, ses illusions tombent et elle commence à dissimuler et à mentir, comme Suézô, tout en rêvant de l’étudiant en médecine qui représente sûrement à ses yeux un idéal de pureté, d’honnêteté et de jeunesse, très éloigné de son protecteur usurier.

L’autre beau personnage féminin de ce roman est la femme de Suézô, dont la jalousie est extrêmement touchante. C’est une femme à la laideur presque grotesque et l’auteur insiste bien sur toutes ses disgrâces : elle est grosse, petite, elle ronfle de manière peu féminine. Nous comprenons aussi qu’elle ne doit pas être très futée car son usurier de mari réussit à lui faire croire pas mal de bobards mais c’est sans doute, aussi, parce qu’elle ne demande qu’à être rassurée. À travers ses crises de jalousie, ses doutes, ses méditations et ses comportements contradictoires nous sentons tout l’amour qu’elle a pour son mari et sa peur d’être abandonnée. Un personnage très humain, dont les réactions paraissent finement observées !

Même les personnages secondaires ou les simples figurants sont caractérisés d’une manière intéressante, et cela contribue à donner beaucoup de vie à ce roman et une sensation de réalité.

Un livre que j’ai vraiment apprécié ! Je tâcherai certainement de relire un jour cet écrivain.

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Un Extrait page 143

Otama, qui jusque-là ne pouvait s’empêcher de se lever dès son réveil, en arrivait maintenant à rester au lit, enveloppée dans les futons, les jours où Umé lui disait : « Ce matin, il y a de la glace dans l’évier. Restez encore un peu au lit ! » Certains pédagogues conseillent aux jeunes gens de s’endormir dès qu’ils sont au lit et de ne pas rester couchés lorsqu’ils se réveillent, afin d’éviter toute pensée perverse. Car lorsqu’un jeune corps se trouve au chaud dans son lit, des pensées naissent en son esprit comme des plantes vénéneuses qui s’épanouissent à la chaleur. L’imagination d’Otama devenait parfois extrêmement dévergondée à ces moments-là. Une sorte de lumière naissait alors dans ses yeux et, comme si elle était ivre de saké, son visage rougissait des joues jusqu’aux paupières.

Un Extrait page 83

Les explications de Suézô, mélange de vérité et d’artifice, semblaient avoir pour un temps éteint le feu de la jalousie de sa femme, mais ce n’était bien entendu qu’un palliatif : aussi longtemps que la personne qui vivait effectivement sur la Pente Muén habiterait là, les médisances et les insinuations iraient bon train. C’était la bonne, par exemple, qui rapportait aux oreilles de la femme des propos tels que : « Encore aujourd’hui, Untel a vu, semble-t-il, Monsieur entrer par la porte treillissée. » Cependant, Suézô n’était jamais à court de prétextes. Lorsqu’elle lui disait que les affaires ne se traitaient pas toujours le soir, il répondait : « Qui donc viendrait dès le matin pour m’emprunter de l’argent ? »

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