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Il ne m’est jamais rien arrivé

Publié le 02 février 2025 par Morduedetheatre @_MDT_
m’est jamais rien arrivé

Critique de Il ne m’est jamais rien arrivé, d’après Le Journal de Jean-Luc Lagarce, adapté par Vincent Dedienne, vu le 24 janvier 2025 au Théâtre de l’Atelier
Avec Vincent Dedienne, mis en scène par Johanny Bert

Allez, on va pas se mentir : moi, je venais pour Juste la fin du monde. De Il ne m’est jamais rien arrivé, je n’attendais pas grand chose. J’avais même un peu peur de m’ennuyer. J’étais rassurée, parce que Vincent Dedienne, ennuyeux, quand même, il faut le faire, mais « adaptation du Journal de Jean-Luc Lagarce », désolée, mais comme ça, ça ne me vendait pas du rêve. MAIS ça me vend quand même une légère curiosité. Suffisante pour que je prenne le doublé Lagarce proposé à l’Atelier en cette fin de mois de janvier. Et que je me prenne une bonne claque au passage.

La surprise n’est pas tant sur les sujets abordés. Quoique. Je me doutais un peu qu’on allait parler de sexualité, d’homosexualité, plus précisément, et puis du Sida, évidemment, et de théâtre, beaucoup. Mais je ne m’attendais pas à rentrer autant dans l’intimité du personnage, à découvrir sa grande solitude, son regard trop lucide sur ce qui l’entoure, et à vivre, à travers son histoire, une espèce de voyage dans la culture française de la fin du XXe siècle.

Mais la grande surprise, c’est le ton utilisé. Je vais dire un truc très con, mais c’est sans doute ce qui fonctionne tellement bien dans ce spectacle : quand Vincent Dedienne parle, seul en scène, avec les mots de Lagarce, on dirait que c’est lui qui parle. Que ce sont ses mots. Qu’il parle de lui. Qu’il raconte son histoire. On est dans quelque chose de très quotidien, de très naturel, de très proche. Je me répète, mais si on m’avait demandé, comme ça, à l’aveugle, où on se situait, j’aurais bien plus facilement répondu chez Le Petit Nicolas – dans une version un peu dark, je vous l’accorde – que chez Lagarce.

Je ne sais pas ce qu’il a fait à ces mots, comment il les a sélectionnés, comment il les a tournés, comment il les a adaptés, mais il les a tellement en bouche, il les incarne avec tant de justesse, avec tellement de lui, tellement à nu, qu’on se croirait presque dans un de ses spectacles. C’est le « ton Dedienne », si vous voulez. Je ne m’attendais pas à ça, peut-être parce que je connais un peu le style de Lagarce et qu’on est loin de ce ton si particulier qu’on retrouvera, d’ailleurs, dans Juste la fin du Monde, l’heure d’après.

Et puis, il a ce jeu si particulier, à la fois complètement là, ancré dans le sol, dans le moment présent, face à nous, et légèrement détaché, comme s’il s’apprêtait à commenter sa propre réplique juste après l’avoir prononcé ajoute, qui encore une strate supplémentaire à ce qu’il raconte. Il joue toutes les nuances de la partition. Il y a l’urgence – dévorer la vie et la jouissance tant qu’il est encore temps – il y a une certaine légèreté – il ne manque jamais un bon mot – et il y a lui, entre deux, mélange assez unique d’âpreté, d’éclat, de désillusion, et de solitude. Il est touchant. Il est attachant.

Oh, et j’allais presque oublier. En plus, c’est beau. Cette scénographie, élégante, qui illustre sans vraiment souligner, qui laisse de la place, qui illumine et qui parfois étouffe, c’est beau. Jean-Luce Lagarce met toute son humanité dans ce Journal, Johanny Bert l’anime, Vincent Dedienne lui donne vie. On entre dans l’intimité totale de ce personnage. Comme si on y était. Comme si on lisait en lui. Comme si on voyait à travers ses yeux. C’est le principe d’un Journal. C’est le principe d’un seul en scène. C’est le principe de l’interprétation. Mais c’est surtout le principe d’une symbiose absolue.

Comme une envie soudaine de lire Le Journal de Jean-Luc Lagarce. Que dire d’autre.

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