Il n'y a pas que les grands formats qui font leur rentrée littéraire! Et pour ceux qui n'ont pas toujours les moyens de s'offrir les crus de la "Grande" rentrée, pourquoi ne pas découvrir
les nouveautés qui sortent en poches? Autant en profiter, il y a de jolies pépites... Petit panorama de mes "Coups de zinc" du moment.
"Outside Valentine" de Liza Ward. (Editions 10 / 18)
Liza Ward s'est inspiré d'une des plus célèbres tueries de l'histoire américaine: les meurtres commis par deux adolescents tueurs, Charlie Starkweather et Caril Ann Fugate à la fin des années 50
et qui a notamment inspiré au cinéma "Tueurs-nés" d'Oliver Stone. Intimement liée au drame; ses grands-parents faisaient partis des victimes; elle réussit avec une incroyable maîtrise à
s'affranchir de ce lien pour apporter une vision plus romanesque au drame.
Chef d'orchestre subtile, elle raconte trois histoires liées au drame à différentes époques.L'histoire de Charlie et Caril et leur cavale infernale.... Quelques années plus tard, l'histoire de
Bouchon complétement obsédée par ce drame et qui se met à observer l'enfant du couple assassiné dans la maison d'en face...Et celle, trente ans plus tard, d'un homme cinquantenaire, plus que
l'ombre de lui-même, tentant de comprendre le mal-être profond qui le submerge à nouveau...
Liza Ward évoque l'indescriptible, ce fil invisible qui nous maintient en équilibre et qui peut, en s'effilochant nous faire glisser de l'autre coté. Avec une profonde empathie, elle choisit de
prendre la voix de Caril pour raconter cette histoire d'amour fou et cette cavale macabre. Elle peint ces âmes en peine, égarées, déboussolées avec humanité comme en signe de pardon. Plus
j'avançais dans l'histoire plus j'imaginais cette lumière grise des jours de neige, la cire des bougies qui se fige et "Memories" de Beth Gibbons qui me trottait dans la tête...J'imaginais des
images flouttées, des images au ralenti, puis le silence et la vision des premières images d' "Elephant" de Gus Van Sant...
Pour me réchauffer de ce froid sec et glaçant, direction L'Asie. Et "Coup de Zinc" pour "Birmane" de Christophe Ono-Dit-Biot(Editions Pocket) , journaliste au Point qui a réalisé de
nombreux reportages en Birmanie.
L'histoire? La cavale d'un jeune bobo parisien trentenaire en mal de vivre qui décide de quitter Paris pour vivre la folle aventure de l'Asie et trouver si possible un sens à son existence
superficielle et désuète...Comble du comble, dès son arrivée en Birmanie, il tombe amoureux d'une expat française qui fait de l'humanitaire.
Vous criez "Halte aux clichés"?!
C'est sous-estimé Ono-Dit-Biot qui en joue par notes de dérision et d'humour rendant son personnage attachant et livrant un tableau sombre et documenté d'une Birmanie à bout de souffle,
maculée de noir quelques mois avant le coup d'Etat. On suit donc César qui se retrouve embrigadé dans une aventure qui le conduit de Rangoon au fin fond de la vallée des Rubis dans une atmosphère
parfois glauque, hypnotique, mystique... L'air est humide, le fond sonore est strident, la végétation luxuriante, la jungle est bien devant moi. On imagine une mise en scène bd ou ciné."La patte"
vivante et journalistique de l'auteur collerait parfaitement à l'univers graphique vif et viril de certains dessinateurs de Bd...
Pour finir partons à Maurice...avec Natacha Appanah et "Le dernier frère" (Editions Point) qui m'avait subjugé l'année dernière, petit joyau de la rentrée précédente que
j'avais emprunté à l'époque. Sa sortie en poche me permet de le garder précieusement auprès de moi. On la compare à Arundhaty Roy, c'est vrai, elles ont toutes deux cette sensibilité à fleur de
peau, cette poésie pour aborder des sujets brûlants...
Raj, à neuf ans en 1940 à Maurice lorsqu'il voit débarquer l'Atlantic avec à son bord plus de 1500 juifs refoulés de Palestine. Il rencontre David, 10 ans lui aussi et les deux
enfants se lient d'une profonde et insouciante amitié. Avec beaucoup de pudeur, elle aborde l'amitié forte entre ses deux enfants qui n'aurait pas dû se rencontrer, le poids de la culpabilité et
l'immense chagrin qui poursuit le narrateur longtemps après et qui fait penser à certains moments aux "Cerfs-volants de Kaboul". Tout est légèreté jusqu'à ce que le rythme s'accèlère et
nous fasse monter crescendo vers le drame final.