Lorsque John Lennon écrit et enregistre l’album Double Fantasy (1980), il est loin de se douter que ce projet sera son ultime œuvre avant sa disparition tragique. Parmi les morceaux qui composent l’album, « I’m Losing You » suscite une certaine angoisse chez John : il craint que le titre ne se réalise dans sa vie, sous la forme d’une prophétie auto-réalisatrice.
Sommaire
- L’histoire de « I’m Losing You »
- La philosophie musicale de John et Yoko : positiver malgré tout
- « Double Fantasy » : un succès posthume
- Un écho à la vision mystique de John Lennon
L’histoire de « I’m Losing You »
Dans l’interview publiée dans All We Are Saying : The Last Major Interview with John Lennon and Yoko Ono, réalisée en 1980, Lennon dévoile que cette chanson a initialement pour titre « Losing You ». Il décide cependant de modifier son intitulé, pensant que « Losing You » pourrait se révéler trop littéral et engendrer un mauvais sort. Il opte donc pour « (Afraid I’m) Losing You » ou une variante proche.
Pourtant, sur la tracklist définitive de Double Fantasy, le morceau s’intitule simplement « I’m Losing You ». Dans le contexte malheureux de la mort brutale de John peu de temps après la sortie de l’album, ce titre acquiert une résonance tragique : un sentiment qu’il s’apprêtait à tout perdre alors qu’il voyait enfin se profiler une nouvelle ère créative.
La philosophie musicale de John et Yoko : positiver malgré tout
Dans la même interview, Lennon explique son souhait de véhiculer des messages optimistes au travers de sa musique. Interrogé sur la possibilité d’enregistrer un album entier sur la fin du monde, il rejette l’idée :
« Je ne pense pas que nous le sortirions. Nous serions en train de creuser des tranchées et de préparer du riz. »
Le chanteur d’« Imagine » considère alors que prévoir un tel scénario apocalyptique ne correspond pas à sa démarche artistique. D’après lui, composer des chansons axées sur le négatif doit toujours servir à libérer les émotions pour embrasser, en conclusion, une forme de positivité.
Yoko Ono partage cette vision. Elle évoque l’idée que chacun porte en soi une part de négatif et que la mettre en musique relève d’un exorcisme salutaire. Elle souligne qu’il suffit de s’en défaire ensuite, pour conserver un équilibre entre l’ombre et la lumière :
« Chanter une chanson négative ne signifie pas que nous créons un fantasme négatif. Au contraire, nous utilisons le négatif pour atteindre le positif. »
« Double Fantasy » : un succès posthume
Malgré le contexte tragique qui entoure la fin de la vie de Lennon, Double Fantasy connaît un véritable triomphe dans les charts. L’album parvient au sommet du Billboard 200, s’y maintenant pendant huit semaines, et reste présent dans le classement durant 77 semaines.
Pour autant, les chansons de Double Fantasy ne sont pas toutes restées dans l’esprit du grand public. De nombreux titres, dont « I’m Losing You », restent aujourd’hui quelque peu dans l’ombre. Dans ce morceau à l’énergie rock, John déploie pourtant une voix puissante, nous renvoyant à ses racines plus incisives.
Quand on sait que Double Fantasy est l’ultime album studio de Lennon, « I’m Losing You » prend un sens d’autant plus poignant : le monde l’a réellement « perdu » peu après. Cette ironie tragique en fait une chanson douloureusement prophétique.
Un écho à la vision mystique de John Lennon
Pour John Lennon, l’idée de la prophétie auto-réalisatrice entoure donc la création de « I’m Losing You ». Paradoxalement, on retrouve dans son travail une volonté de conjurer le mauvais sort et de célébrer la vie. Il admet à plusieurs reprises qu’il souhaite, par sa musique, nourrir l’espoir plutôt que d’exacerber la négativité.
Ce mélange de craintes et d’optimisme nous rappelle le parcours contrasté de l’ancien Beatle : devenu le porte-voix de la paix tout en étant hanté par ses propres angoisses. Dans ses dernières œuvres, il tente de cultiver un renouveau personnel, un bonheur familial avec Yoko et leur fils Sean, qu’il n’aura pas l’occasion de savourer plus longtemps.
Au final, l’histoire de « I’m Losing You » illustre la dualité de John Lennon lors de ses derniers mois : s’ouvrir à une nouvelle phase créative, tout en étant tenaillé par l’idée qu’une chanson pourrait prédire un désastre. L’album Double Fantasy témoigne de cette sensibilité mêlant amour, doute et quête de paix intérieure. Son décès, peu après la sortie du disque, confère à « I’m Losing You » une aura terriblement funeste, rappelant à quel point la frontière entre l’art et la réalité peut être ténue. Pourtant, les déclarations de John et Yoko, privilégiant le message positif, demeurent le meilleur héritage qu’ils nous laissent : oser affronter nos peurs pour mieux les dépasser.